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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
13 février 2008

Bad Agenda

Duran_1


Il est à Paris. Pour des affaires. La signature ne se fera pas avant Avril. L'appartement. Il trouve que ça fait long, je trouve aussi. A la différence de son impatience, je lui oppose ma satisfaction, et lui de me dire : tu pourras t'habituer comme ça. Oui, je vais pouvoir m'habituer comme ça. Une dispute a failli éclater en moi-même, à propos de ce sujet. J'ai manqué de peu d'avoir envie de la faire déborder dans le réel, cette machinerie complexe bien rôdée quand on est, à priori, un homme. A Paris il fait beau, il y a des oiseaux, et des gens qui profitent des expos. Et lui, il est allé voir Rétromobile. Il aime les vieilles voitures, les engins anciens (sic). Deux roues, trois roues. L'ancêtre de la mobilette, etc. Il y aura des femmes, accompagnées d'hommes pour la plupart. Non, rectification, il y aura des hommes, accompagnés de femmes pour la plupart. Moi hier soir, au téléphone, j'aimais l'entendre, à distance. Dans le combiné. J'adorais ça. C'était une jouissance, de l'aimer à distance. Paris ce n'est pas très loin d'ici. Un coup de voiture, un coup de gazoline. On y est. On s'y voit. On voit la Tour Eiffel toute illuminée depuis la fenêtre de sa  chambre d'hôtel. Il dit : c'est vraiment magnifique, je me sens bien. Je lui ai dit : c'est vrai. En pensant le contraire de ce que je disais. Je me suis couchée très tôt, vers onze heures, et j'ai fait des rêves, impossible de m'arrêter, jusqu'à dix heures du matin. Je n'arrivais pas à me réveiller.

Je vois de nuit une centrale électrique. Mais je vois aussi qu'elle fait du nucléaire. Je dois bientôt me poser avec l'hélicoptère. A l'intérieur de l'hélicoptère, Anne et Claude semblent heureux. Claude met sa main de noir sur le ventre rond de sa copine, pleine de son enfant, et je trouve ça tellement émouvant. Un homme, un soldat, à côté de moi, s'approche, il est terriblement sexy, comme le Diable et il me dit : ça vous dirait de faire la même chose ? Je lui réponds : j'ai mon travail à faire d'abord. Il fait oui de la tête. Ensuite il me dit qu'on arrive. Je vois la centrale de nuit. Nous la survolons. Nous nous posons sans encombre. Tout le monde sort. Des hommes en costumes noirs arrivent en souriant. Mais leurs visages sont figés, et leurs yeux terriblement perçants. Je me sens mal à l'aise. Je me dis : non, c'est peut-être des hommes qui vont aux putes. Mais je prie pour que non. Je ne veux surtout pas que ça soit ça. Nous marchons longtemps, dans des couloirs humides, la machinerie de la centrale produit un bourdonnement terrible. Un homme se retourne vers moi, pour considérer mon tailleur gris et mes documents à la main : ça fait longtemps que vous faites ça ? Je lui dis : non. Craintive. Il me fait un sourire carnassier en coin. Nous arrivons devant un énorme moteur, à moitié explosé, fumant. Un homme le montre du doigt : c'est la première fois qu'un tel désastre arrive ici. Vous en êtes consciente j'espère. Inutile d'alourdir le rapport, mademoiselle Lopez, inutile de nous accabler davantage. Je fronce les sourcils, je ne suis pas mademoiselle Lopez, et si je le dis, j'ai le sentiment que je ne sortirai pas vivante de là. Nous entrons dans une salle de réunions. De très vieux hommes, aux yeux globuleux sont assis autour d'une grande table rectangulaire. J'ai très envie de m'échapper. Il y a erreur de la personne, je ne suis pas elle, elle n'est pas moi. Mais je me contiens. J'ai peur mais je sais contrôler cette peur. On me propose un siège en plastique. Les vieux hommes sont tellement décharnés qu'on dirait des zombies bon à l'abattoir. Un film étrange est projeté sur le mur, grâce à un rétro-projecteur numérique. Un homme musclé et inquiétant, un militaire à la con, fait l'exposé. Sur le mur des parasites. Ensuite des images d'émeutes, des gens qui s'entretuent, des militaires qui tentent par la force de contrôler les masses devenues folles. Le mec explique ça et je tremble comme une feuille. Je me dis : je ne devrais pas être ici. Je ne dois pas être ici. Je ne devrais pas voir ça. Ici ce n'est pas ma place. Non... Comment je vais me sortir de là ??? Le mec explique que la foule mérite de mourir pour ce qu'elle a fait à ce pauvre enfant. Je vois sous la table mes jambes sexy, et un vieil homme décharné qui me fait un sourire terriblement malsain, comme celui du Joker dans Batman. A présent je me sens nauséeuse carrément. Il me caresse les mollets avec ses longs doigts osseux. Je ne dis rien, j'ai trop peur d'attirer l'attention. Le militaire devant s'énerve en criant : mais ils ont mangé des enfants en pleine rue !!! En pleine rue !!! Tout d'un coup, tout l'édifice semble ébranlé par une explosion. Tout le monde se met sous la table. Le vieux décharnée m'attrape et il me dégoûte, il essaie de m'embrasser. C'était ton travail avant non ? Je lui dis : non. On se cogne les uns aux autres... Il me dit : et maintenant avec le soleil, il n'y a plus de travail pour personne. Il tente de me lécher les seins, et là je me réveille. En colère contre moi-même, de faire toujours ce genre de rêves, où on me fait comprendre d'où je viens, et ce que j'ai été. Sept mois remplis à faire autre chose qu'on espérait, et hop, vous voilà prisonnière de vos rêves, je reste persuadée que beaucoup qui sont encore prostituées aujourd'hui et ce depuis longtemps, ne rêvent pas autant de la chose que moi, pas autant et pas de la sorte.

J'arrive, malgré mon énervement, à refermer les yeux. Finalement. Je voulais lire un livre, mais non, je l'ai balancé à travers la pièce, et moi qui suis maniaque avec mes livres, il fallait vraiment que je sois en colère pour faire une chose pareille, une chose adolescente pareille. Cela m'a fait penser à Yves qui avait craché à la gueule d'une folle qu'elle était folle, mais il n'aurait pas aimé, ni admis, à sa petite place de boiteux crassouilleux, qu'on lui rende la pareille. L'égalité n'existe pas, même dans les bas-fonds de la capitale, surtout là-bas. Dans les égoûts de l'humanité, ça n'existe pas. Rien n'existe vraiment, voilà l'ampleur du problème j'ai envie de te dire. La plupart des petites gens se contentent très bien de se conduire en loups errants, sans même se rendre compte qu'il y a des requins gigantesques qui croquent les loups errants au petit déjeuner. Et même au déjeuner. Mais bon, la conscience se ferme et mes yeux, oui, encore une fois, se sont fermés.

J'étais chez moi. Je faisais entrer un homme, très séduisant. Il avait une mallette. Il avait un front bien dégarni, et il était grand et fort. Je lui souriais. Il me demandait : tu crois qu'on peut ? On se connait à peine. Bien sûr que nous pouvons. Je me suis déshabillée devant lui. Le soleil se couchait lentement, ça donnait un éclairage particulier, et à un aspect blanchâtre à ma peau, plus dorée habituellement (l'inverse aurait été plus logique). Nous sommes allés dans la chambre à coucher. Qui n'avait rien à voir avec la mienne. Elle était plus petite. Il y avait une bibliothèque dans le coin, avec beaucoup de livres parfaitement rangés dedans. Il me portait comme s'il était le vent et moi une feuille. J'ai bien senti son sexe entrer dans le mien. C'était chaud, doux, réaliste. C'était bon. Mon bas-ventre tremblait. Il transpirait à grosses gouttes, ça coulait de ses aisselles, sur ses flancs, sur ses côtes. Bien cachées, bien rembourrées, par les muscles. Il avait les yeux un peu triste, même lorsqu'il jouissait, ce qui le rendait vraiment unique. "Tu crois qu'on peut ?" Oui, nous pouvons. Nous avons ce pouvoir-là. Oui, il ne faut pas avoir peur. C'est ça. C'est ça, qui est à l'origine, et pas seulement parce que les pauvres, elles sont intéressées par ça dans leurs livres, les pauvres, mais parce que nous sommes à l'origine du bien et du mal. Bien sûr. Evidemment. Je me dis : il comprend, lui. Il m'embrasse, sa langue se loge dans toute ma bouche : je lui appartiens. Un sentiment effroyable (pas effroi, sinon j'aurais mis effroi, et pas effroyable. Comme dans la Genèse, au commencement, et pas au début. Au commencement) dans tout son plus bel éclat.

La nuit est tombée, il ouvre sa mallette sur la table du salon, qui a encore changé. Sans même que cela ne m'afflige : je le remarque juste que les meubles sont différents, et à des places différentes. L'homme me montre dans sa mallette quelque chose. Ce sont des papiers, sur lesquels je vois le nom de Denis et le mien. Voilà, ils sont à toi, il me dit. Il me caresse la joue. Il prend sa mallette et sort. Je reste dans l'appartement et je sens la terreur m'envahir. Toutes les lumières sont maintenant éteintes. Je ne peux plus supporter ça. Mais quoi ? La liasse de papiers est sur la table. Et je tremble, j'entends du bruit dans l'appartement, des craquements. Quelqu'un est dans l'appartement avec moi. Je me dis : ça existe les fantômes. Et brusquement, l'horreur arrive, celle que je redoutais tant. Un homme jaillit dans la chambre avec cette liasse de papiers à la main. Il est en sang, écorché ici et là, des morceaux de chair lui tombent du corps. Il crache du sang. Sa respiration n'est qu'un sinistre sifflement irrégulier et grésillant. C'est l'horreur abominable par excellence, je suis terrorisée, j'ai envie de crier, de pleurer, mais je suis tellement paralysée par ma propre peur, par ma propre impuissance que je ne peux rien faire, ni rien exprimer. Tout juste ressentir les choses et leur blocage. Le zombie qui gronde, c'est Denis. Il me jette la liasse de papiers à la gueule, en me traitant de salope. En me disant que je voulais le voir mort. Et il se jette sur moi.
Je me réveille brisée. Terrifiée. Une seule solution, sur le côté, la position fœtale. Maman, comme j'étais bien dans ton ventre autrefois. Pourquoi a-t-il fallu que je sorte ? Pourquoi a-t-il fallu que je vienne ici ? Dans cette maison ?

Denis cloue des planches de bois sur les portes et les fenêtres. Pour ne pas qu'ils entrent. Je lui en apporte de la chambre, dans laquelle nous avons mis ça en l'état. J'essuie mes mains sur les murs blancs. Les traces noires que ça laisse sont sinistres. Je m'en rends compte. Nous sommes épuisés. Denis me regarde dans le couloir. Nous sommes à Paris, oui. Nous entendons du bruit sur le toit. Il me dit : ils essaient d'entrer. Il me tend la main, je cours vers lui. Je vois des ombres autour de la maison. Toute les fenêtres sont clouées avec des planches de bois pour ne pas qu'ils entrent. Mais ils marchent sur le toit. Et nous entendons un grondement au dessus de la maison. C'est terrifiant. Je suis terrifiée. Dans ses bras. Nous allons nous poster devant la télévision et nous voyons PPDA, chemise défaite et cravate enlevée, en sueurs, qui fait part des événements. Ils filment d'énormes vaisseaux au dessus de Paris. Je dis à Denis que nous allons tous mourir. Il me regarde et il me dit avec terreur : non, ne dit pas ça. Ne dit pas ça. Nous entendons dans une chambre du verre cassé qui tombe par terre. Ils sont entrés. La terreur me lascère le ventre, j'ai tellement peur que je laisse Denis y aller seul, avec un morceau de bois comme arme. Je reçois un appel sur mon portable. Je décroche et j'entends des parasites, je distingue malgré tout une voix, qui tente de me prévenir. Je dis : je n'entends rien. Je le répète. Au bout d'un moment, je le hurle tellement ce n'est pas possible. Et puis j'entends cette voix, féminine, qui me dit : il faut que tu comprennes...ils... du bien. Ils vous veulent du bien. Je reconnais ma mère. J'entends un autre bruit au fond de l'appartement. Le ciel est sombre, à présent la télévision ne diffuse que des parasites. Je jette mon téléphone par terre (comme le livre dans la réalité, juste après le premier rêve). Je regarde par la fenêtre. Je vois le ciel illuminé d'étoiles scintillantes, elles sont en or, c'est tellement beau que cela touche mon coeur et mon être tout entier. Tout entier porté par la beauté que je suis en train de contempler. Je vois des vaisseaux dans ce festival d'étoiles, sur fond de ciel noir. Je me retourne et j'appelle Denis, en larmes. Je lui dis de venir. Je lui dis de venir voir ça. Mais il ne répond pas. Je me rends compte que je suis toute seule, qu'il a été enlevé. Je vais voir dans l'appartement. Prudemment. J'avance vers la chambre. C'est là qu'il s'était rendu avant de disparaître. J'entends de la musique. La voix de Patti Smith qui chante : Horses, Horses, Horses, Horses. Comme ça, sans arrêt. Je me réveille avant d'aller dans la chambre. En colère, j'aurais voulu connaître la suite. Vivre la suite. Ouvrir cette maudite porte !

Il est à Paris. Pour des affaires. La signature ne se fera pas avant Avril. L'appartement. Il trouve que ça fait long, je trouve aussi. A la différence de son impatience, je lui oppose ma satisfaction, et lui de me dire : tu pourras t'habituer comme ça. En douceur, car j'ai besoin de m'habituer en douceur, c'est là que je sais que les grands changements se font toujours brutalement. Plus ou moins. Les vrais changements. Brutalement. Oui, je vais pouvoir m'habituer comme ça. Je vais être forte, comme je le suis souvent, en parlant de mes rêves, il faut être fort pour parler de ses rêves, et pour s'en souvenir comme je m'en souviens, aussi clairement. Une dispute a failli éclater en moi-même, à propos de ce sujet. J'ai manqué de peu d'avoir envie de la faire déborder dans le réel. Le réel, cette machinerie complexe bien rôdée quand on est, à priori, un homme. A Paris il fait beau, il y a des oiseaux, et des gens qui profitent des expos. Et lui, il est allé voir Rétromobile. Il aime les vieilles voitures, les engins anciens. Deux roues, trois roues. L'ancêtre de la mobilette, etc. Il y aura des femmes, accompagnées d'hommes pour la plupart. Non, rectification, il y aura des hommes, accompagnés de femmes pour la plupart. Moi hier soir, au téléphone, j'aimais l'entendre, à distance. Dans le combiné. J'adorais ça. C'était une jouissance, de l'aimer à distance. Vous savez bien que j'aime bien parler de l'accès de l'amour à distance. Paris ce n'est pas très loin d'ici. Un coup de voiture, un coup de gazoline. On y est. On s'y voit. On voit la Tour Eiffel toute illuminée depuis la fenêtre de sa  chambre d'hôtel. Il dit : c'est vraiment magnifique, je me sens bien. Je lui ai répondu : c'est vrai que c'est magnifique. En pensant le contraire de ce que je disais. Je me suis couchée très tôt, vers onze heures, et j'ai fait des rêves, impossible de m'arrêter, jusqu'à dix heures du matin. Je n'arrivais pas à me réveiller. J'étais prise dans une boucle, et cette boucle voulait absolument que j'aille au bout du cercle. Le réveil n'était pas de mise, je n'avais le droit que de m'endormir à nouveau. Et souvent, j'ai envie de m'endormir en pensant à Paris, rêver d'horreurs est un sport parfois plutôt amusant. Souvent j'ai envie de rêver de tout sauf de Paris, même si la Tour Eiffel est illuminée dans un ciel complètement noir. Et que la nuit me chuchote à l'oreille : repose-toi bien.

   

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