Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
12 février 2023

Une explosion nucléaire

 

two-koi-image-1588820

Il a eu le sentiment qu'une explosion nucléaire s'est produite dans sa vie intime. Dans son cerveau à proprement parler. Je doute de sa possibilité, sa capacité à ressentir quelque chose de complexe dans son coeur, ou plutôt, à travers son coeur. Complexe, ou juste quelque chose. Un petit frémissement, ne serait-ce qu'une vague chaleur. Au niveau du coeur. Ce n'est pas comme s'il lui en manquait un, car à tous, il manque quelque chose. Et manquer d'un coeur, ce n'est pas si important, ce n'est pas ce qui compte. On traverse tous un récit qui s'écrit pendant qu'on s'agite à écrire nos propres histoires. J'aimerais lui raconter mes histoires et lui dire combien elles n'ont donné aucun fruit. Pas même un fruit confis. Mon coeur était là, trop occupé à regarder le récit qui s'écrivait en direct pour lui. Dans une étrange perception meta. Lui, il n'a pas pu ressentir avec son coeur, c'est peut-être pour ça qu'il a voulu en absorber. Pour remplir d'amour son thorax, et avoir quelque chose. C'était purement animal, trop de lumière dans le cerveau, les yeux ne filtrent jamais. Le pouvoir du coeur lui faisait envie. Les guirlandes rouges dans le sapin du solstice d'hiver aussi. Il a eu la sensation qu'une explosion nucléaire s'est produite dans sa vie intime. Ce n'était pas des explosions nucléaires lorsqu'il se masturbait devant des carpes asiatiques bien agréables à regarder. Ses poissons mourraient régulièrement. Les Koï non. Ils allaient et venaient dans sa baignoire. Gracieux, pacifiques, il les regardait avec un désir assez particulier, il aimait la sensation des écailles sur ses pieds. Car, malgré son absence de coeur, il avait gardé la sensation de la peau au niveau des pieds et les écailles des poissons étaient comme des caresses de femme. J'ignore si vous encadrez la chose. C'est comme une blessure à vif, qui au lieu de détruire, construirait. Comme si le pus était une sève. J'ai toujours pensé qu'on aurait dû (qu'on ?) reconstruire les tours jumelles à l'identique. Histoire d'échapper au récit attendu. Au récit de la mort qui s'écrit à chaque instant, pour tous, une obsession que je possède, qui me traverse comme chez tous les initiés, mais chez moi c'est comme un océan d'encre noire qui ne s'est jamais arrêté malgré mon silence, malheureusement. Une explosion atomique pourrait se produire un jour là-bas et il faudrait bien reconstruire par la suite, il faudrait des bras, des coeurs, des cerveaux, un désir. Il pensait que personne ne saurait qu'il avait des carpes d'ornement dans son appartement. Dans sa baignoire. Elles venaient sans cesse sur ses pieds, et n'importe quel inspecteur de police aurait trouvé cela irritant. Et serait allé se plaindre à son prêtre. 

Une explosion nucléaire qui lui a retiré ses carpes. Elles sont dans une fontaine maintenant, dans un décorum Japonais avec des masseuses qui savent, quand elles touchent le corps de la personne, quelle partie du coeur manque, ou si la totalité est absente. Elles font craquer les vertèbres. Si elles pouvaient, elles retoucheraient les imperfections du crâne. Retireraient les becs, et remettraient en place les mandibules. Il aurait probablement aimé cela, mais dans mon souvenir, il n'était pas sadique, si on peut dire. Un boom lumineux aux proportions gigantesques, comme lorsqu'on perd un être cher, un père, une mère, un enfant. Et la douleur aveugle, trop de lumière, beaucoup trop. Surtout un enfant, et plus rien n'a de sens. Si Dieu ou l'Univers t'enlève ton enfant. Alors que tu fais partie des initiés, et que tu sais, qu'on sait, que vous savez que c'est injuste et que cette injustice fait partie d'un grand jeu aux règles primaires bien définies, les secondaires sont mouvantes. Et bien la douleur est encore plus insupportable. Quand on sait, quand on s'illusionne qu'on sait. Il s'allongeait sur sa couchette de sous-marin lorsqu'il partait en mission, et pensait à ses poissons mouchetés (tachetés ?), loin des injustices impossibles à résoudre. Il écoutait le chant des sirènes et il les suivait car il avait perdu son pouvoir, et ne pouvait plus faire avec son trou à la place du coeur. Il me faisait l'effet d'un paradoxe sur pattes. Comme je l'étais moi-même. C'est juste qu'avec lui, la comparaison me faisait honneur, on sortait des considérations d'argent, de sexe, qui sont tellement partout les mêmes, tellement redondantes et 99% des brebis se complaisent dans cette herbe sans saveur. Des touristes insipides de l'existence, en attente de placement à la morgue. Je le regardais comme s'il était un oiseau précieux et rare avec des couleurs explosives (atomiques ?) et des plumes ridicules. Le ridicule ne faisant pas partie du monde animal, il ne m'en voulait pas. Je l'aimais, en tant qu'initiée, cette obsession d'encre noire totale. 

Et je m'interroge, à quand mon explosion nucléaire, pas à l'intérieur de mon coeur, mais à l'extérieur de moi, qu'on puisse vous voir tous finir comme les victimes d'Hiroshima, Nagasaki. Si c'est pas un rendez-vous manqué en Europe, avec "la guerre à nos portes". Et lui, en mission, cet homme dont je parle depuis le début dans le texte. Et ses belles chemises blanches à fleurs noires. Il a vécu Hiroshima, Nagasaki dans sa vie intime. Dans sa Vie. Dans ses projets, interrompus, brûlés, irradiés. Tout s'est écroulé comme un chateau de cartes, une partie malencontreuse de dominos, ils sont tous tombés les uns après les autres. Les carpes si jolies ont été emmenées dans des aquariums, loin de lui, et lui, il est parti en mission dans un sous-marin. Et les sous-marins ne sont bons qu'à une chose : couler. L'absence de son coeur, la pression dans les bas fonds, il était peut-être d'accord pour couler. Peut-être pour retrouver le chant des sirènes (mieux dormir) et vérifier que ses poissons ne se trouvaient pas tout au fond de l'océan. Qui pouvait le dire, personne n'avait plus vraiment rien à lui dire maintenant. Se masturber devant des poissons quelle drôle d'idée bien regressive, il était resté seul jusqu'au bout.

Je pense que la marine française, au lieu de baptiser un sous-marin "Le Triomphant", aurait encore mieux fait de le baptiser "Futur squelette de sardine". Même si ça mélange les genres.

On pourrait se demander pourquoi tant de victimes, dans une guerre atomique, à quoi ça servirait, à qui, qui aurait avantage à se faire plus d'avantages, sur le dos des squelettes cendrés, cigarettes poussièreuses en os, et pendant que cet homme reste au fond de l'océan, et qu'il  hante un peu les coeurs de ceux qui n'arrivent pas à sentir quoi que ce soit, que l'histoire se répète ou pas, les inspecteurs de police continueront de s'irriter du va et vient des poissons dans l'eau d'une baignoire, et ils iront s'en plaindre à leur prêtre, ces derniers étant accro à la nicotine, encore de nos jours. C'est avec peu de chose qu'on évite un embrasement atomique et une destruction biblique, c'est avec peu de choses qu'on évite de donner raison à des aveuglés, ou qu'on le fait juste par plaisir sadique, en attendant de voir le squelette de l'homme sans coeur, pourrir au fond de l'océan, combien de temps le processus de putréfaction prend dans l'eau je ne sais pas, ce doit être très rapide et le corps doit gonfler, enfler. Avant d'exploser peut-être.

Il a dit qu'une explosion nucléaire s'était produite dans sa vie, et c'est la sensation qu'il avait, et ce n'était pas agréable du tout cette destruction absolue. Il en souffrait, sans avoir de coeur. C'était donc une pure blessure narcissique. Et moi, j'attends de voir les résultats d'une vraie explosion nucléaire, qui se produirait pour de vrai dans la vie, dans VOTRE vie et qui aurait un pouvoir incroyable, capable de déplacer tout votre monde, de renverser l'Univers. Ce serait simplement gigantesque. Quelque chose d'une telle ampleur, sur une si petite planète. Déplacer ton coeur, ça demanderait certainement bien plus qu'une explosion nucléaire.

 

Publicité
Commentaires
Publicité