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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
3 février 2008

Les Affligés ont cette poudre sur les doigts

crashtestdummies

Ce soir, Dieu est dans la carte des desserts

Paul, un ami de Denis, lors d'une fin de repas copieusement arrosée.

L'endroit était tellement éclairé. Que je ne m'y sentais pas très à l'aise. Mais j'étais malgré tout contente d'être venue. Je suis toujours contente de venir. Le serveur de l'autre table faisait frire quelque chose, et ça faisait des flammes bleues. Frire, euh, plutôt flamber. J'étais distraite. Très distraite. Je le suis toujours maintenant. J'ai définitivement quitté la réalité. Une certaine réalité. A moins que ce ne soit elle qui m'ait abandonnée. C'est une possibilité que j'aurais tort de négliger. Mais j'ai décollé. Et je décolle encore comme le papillon s'étouffe, à la fin de sa vie, parce que c'est sa principale fonction de s'étouffer. A la fin de sa vie. Les papillons laissent des poudres sur les doigts, il n'y a rien à voir là-dedans avec l'existence, ou la prétendue existence des fées. Tout coulait de source. A part mon malaise social, mon malaise sauvage, cet étonnant sentiment, tenace, et à jamais certainement tenace, qui vous fait croire que vous n'êtes pas à votre place, en compagnie des foules. La politique a peur des réactions des foules, je crois finalement qu'elle a tout à fait raison d'avoir peur. Il y a un langage de la peur, que provoque la foule chez la politique, qui est sublime. J'aime le regarder. Mais je ne fais qu'observer, à distance, bien assise dans ma chaise, dans ma chaise de restaurant, confortable, je ne fais que regarder. Mes peintures, je suis dedans, et je suis seule dedans, comme dans le monde. Le monde se vide, c'est moi la légende. J'ai été la légende de deux hommes dans le passé, et d'un seul aujourd'hui. Rien que de l'évoquer, j'ai envie de m'écrouler sur place, les bras sans force, et les yeux pleins de larmes. Le menton pourrait trembler aussi, ça serait du plus ravissant effet (non, bien sûr). Je ne dirai plus jamais oui à la légère je crois dorénavant. Tout s'éteint toujours, et la force me quitte à nouveau. La force, pas celle de Darth Vador, non, pas cette force là. Beaucoup plus noire, beaucoup plus... Réelle. Dans ses yeux, à la fin du repas, je voyais bien qu'il me préparait quelque chose. Il y avait un coffret dans mon assiette. Comme au cinéma. Cette fois-ci effaçait toutes les précédentes. Je ne sais pas pourquoi. Le moment, l'instant, l'instinct, qui était le mien, toujours aux aguets, comme une bête traquée. C'était l'instant, le moment, l'endroit pour. Cet endroit dans lequel je me sentais mal. Disons mal à l'aise, parce que c'était une énorme cantine qui se figurait être classieuse, et elle l'était. La prétention des choses-là m'a toujours fatiguée. Je devrais ne pas dire ça. Je suis injuste. Mais pas avec lui, jamais. Jamais. Même lorsque je fricotais ailleurs, je ne l'étais pas envers lui, je l'étais juste envers moi. Il faut que je me l'enfonce dans le crâne. Vraiment, vraiment vraiment vraiment vraiment vraiment. Il souriait, il était allé aux toilettes avant, et j'avais remarqué lorsqu'il est revenu qu'il avait dû s'y pomponner, on remarque ce genre de détails. Prenants. Sur le moment. La pièce étincelait, comme dans un meeting des illuminatis anonymes, il y avait quelque chose dans l'air. Je n'étais pas surprise d'être là, il m'avait dit : on se fait beaux. Nous le sommes déjà. Oui, les gens beaux, les gens qui savent qui sont beaux ont quelque chose de méprisable en eux, d'ailleurs lorsque je me rends compte que je suis belle, dans mon miroir, je m'enlaidis très vite, au minimum je me rends naturelle, sans tout cet artifice, que j'incorpore, dans mon être. Tous ces superflus qui étouffent notre amour pour finalement finir comme la poudre des ailes des papillons : sur les doigts. Les doigts des hommes. On se fait beaux, se repulen, et on se coupait les ongles, en agitant nos ailes de chauves-souris. Mais il tenait vraiment à ce qu'on se fasse beaux. Vraiment. Beaux comme des Dieux. A l'hôpital on lui avait dit un jour : tu es belle comme une déesse. Elle sortait de la douche, naturelle, comme elle aime : par couches. Donc j'ai ouvert et j'ai vu une nouvelle bague, qui n'avait rien à voir avec l'ancienne, qui, dans des moments de disputes, de violentes disputes, avait été balancée en l'air, jetée contre un mur, un radiateur. Qui avait failli finir à la poubelle. Les diamants incrustés dedans étaient restés intacts, comme des coquillages fossilisés. Finalement, je l'avais gardée, il avait tenu à ce que je garde la bague, même si tous les projets étaient tombés à l'eau, et que la Bretagne, prêtée par Georges et Philippe aussi (leur maison de vacances, pas toute la Bretagne). Juste avant qu'il ne me donne la bague, j'ai eu une chanson dans la tête, très forte. Que j'avais déjà utilisée ici pour un billet, les The Cure, Just like heaven. C'était les paroles-là qui résonnaient : "Dancing in the deepest oceans, twisting in the water, just like a dream". Et puis il m'avait tendu le coffret et la musique s'était estompée. Je l'avais ouvert. Il m'a dit en un regard que... Que je pouvais dire oui, cette fois-ci sans craintes. Et puis j'en avais envie. Donc il a reposé la question, il a dit que ça ne m'engageait à rien, qu'il savait ce que j'en pensais déjà mais qu'il avait eu envie de me l'offrir. En la voyant. Ils se font beaux, les gens  qui sont beaux à la naissance, ou qui le deviennent par la force du billet européen, ils se font beaux en se coupant les ongles, en regardant leur progéniture en train de jouer avec des cubes et des triangles en plastique, à insérer dans les trous conformes, ils se font beaux, les gens qui savent qu'ils vont mourir, pour jouir de la vie, et jouir encore demain, en laissant cela pour demain, encore, les gens beaux, très très très beaux savent que demain peut devenir terreur. Ils le savent. Je me sentais belle, mais ce n'était pas agréable. Vraiment pas agréable, allez savoir pourquoi, je suis rabat-joie, ou peut-être inconsciente, de cette chance que j'ai. D'avoir un amour dans ma vie. D'ailleurs si j'étais dans la recherche ou la demande d'amour, l'écriture serait nettement meilleure. Considérablement même j'ai envie de prétendre. Mais il a posé la question de savoir ce que ça voulait dire pour moi. Je lui ai dit que nous étions déjà engagés, depuis longtemps. Depuis toujours il me semblait. Et que ce n'était pas de la poudre de perlinpinpin, ni des ailes de papillons. Celles qui restent sur les doigts, tu sais. Non. C'était tellement beau, ici, dans ce restaurant. C'était tellement beau. Tellement sain. Non. C'était tellement... J'étais dans ma case peut-être. Peut-être que c'était ma place, comme la place de Consti c'est de conspuer gueule cassée, ou comme la place de Denis c'est de voguer avec sa cravate et sa malette en Amérique pour aller de l'avant. La peur n'évite pas le drame. Que je sache.  Et j'avais un avantage, il me l'avait dit plusieurs fois. Nous nous aimons, tu es d'accord. Nous nous aimons énormément, tu es d'accord avec ça aussi. Oui. Nous nous adorons l'un l'autre, nous respirons l'autre, nous sommes malades rien qu'à l'idée de nous séparer trois heures. Véridique. D'ailleurs ce n'est pas une bonne chose, ni pour mon écriture, ni pour mes peintures, ni pour ma vie (mais ça, je ne l'ai pas dit, je l'ai juste pensé). Et je le pense encore, même si la parenthèse est déjà fermée. Nous nous sommes rencontrés et nous nous sommes trouvés. Oui, je suis d'accord avec ça aussi. Nous sommes attirés l'un par l'autre par une force qui nous dépasse. Mouais, si tu veux. Une force qui nous dépasse, mais rien ne nous dit que cette force n'est pas dépassée elle-même par son propre pouvoir, ou alors par d'autres, qu'elle se garde bien de mentionner dans son guide gastronomique. Nous faisons l'amour quarante-six fois par semaines et nous restons toujours assoiffés l'un de l'autre et dans l'émerveillement de la découverte du corps de l'autre (normalement ça se termine un jour cet état, mais je ne l'ai pas dit, je l'ai juste pensé). Nous avons supporté et traversé des tensions énormes qui auraient dû détruire notre couple (n'en rajoute pas plus, j'appelle Jean-Luc Delarue tout de suite). Oui, ça te fait rire. Heureusement que tu avais une pointe d'humour dans ce que tu disais, c'est difficile à retranscrire par écrit parce que je ne sais qu'être sérieuse, à l'écrit. Moi. Donc ton humour branque on ne sait pas bien où il commence, ni où il s'arrête, comme on dit. Donc c'était quoi mon avantage mon amour ? Ton avantage, m'avait-il dit, c'est que le mariage était moins risqué pour moi que pour lui. Au-delà de l'amour, au delà de son besoin de me rentrer dedans, pour voir si j'ai la foi de temps en temps. Foi en l'humanité, en notre humanité, cet amour qui fait si peur aux politiques, sauf s'il choisissent des mannequins héritières qui chantent de traviole quelques balades sans conséquences. C'est peut-être ce que j'écris moi aussi ici, des balades sans conséquences, de traviole. Il m'avait dit : ton avantage, c'est ta jeunesse. Le mariage est moins risqué pour toi, et arrête de m'interrompre s'il te plaît, parce que tu es jeune, et que si tu commets une erreur en te mariant avec moi, tu pourras demander le divorce. Même sans enfants entre nous, tu sais que tu pourras vite refaire ta vie. Moi j'ai quarante et un an, ma vie est loin d'être terminée mais toi tu auras trente ans seulement dans quatre ans, et en quatre ans il se passe tellement de choses. Il se passe une éternité, le temps est un élastique que tu peux élargir, étirer je veux dire, étendre, lorsqu'on est beau, le temps est bien sûr un élastique. Regarde nous. Cela va faire sept ans qu'on s'est rencontré, et combien, deux, trois ans que nous nous sommes retrouvés, un an que nous vivons ensemble. Regarde, les risques. Les dangers. Te marier avec moi c'est tout bénéfice je dirais pour toi. Tu essaies peut-être de me convaincre, mais tu te prends pour Superman, tu sais, Superman, il n'atomisait pas septembre, ni juillet, ni août, mais tu sais, Superman, il est revenu. (Là, il se met sur moi et mets sa main sur ma bouche, pour me faire taire, ensuite, il l'enlève doucement pour chopper mes lèvres avec les siennes. Cet amour avec lui, ça nous rendrait presque midinettes, souvent il me signale qu'avec moi il a retrouvé sa fougue et ce feu d'aimer qu'il avait en lui à vingt ans. Les hommes ne sont pas des affligés, ils n'ont pas cette poudre sur les doigts non). L'affligée c'est moi, je l'ai déjà dit, je vous le redis. Je ne change pas, comme certains chanteurs devenus depuis grands-pères, je ne change pas, je n'ai pas changé non, je me faisais juste des idées, à ce niveau-là. C'est bien naturel de se faire des idées, lorsque l'affliction guide le pas.

J'ai dit : cette bague est magnifique. Je me souvenais encore de la bague de Jean-Marc, la pauvre elle faisait pitié. Comme lui d'ailleurs, avec le recul j'avais vraiment cherché n'importe qui n'importe quoi pour retrouver cet amour pervers que j'avais perdu, celui de mon oncle. Que j'avais perdu de mon propre... fait. Mais non, je suis quelqu'un de bien, l'Amérique n'est faite que pour les gens qui veulent aller de l'avant. C'est ça. J'ai dit : tu ne me dis rien. Il me regardait, en souriant. Il a juste dit : non, elle était tellement belle que je voulais que tu l'aies. J'ai dit : mais c'est une bague de... fiançailles ? (j'ai pensé immédiatement que j'avais été bien stupide de demander). Il a répondu : c'est une bague pour ce que tu veux qu'elle soit, moi tu connais mes intentions depuis toujours. Je ne te laisserai pas partir. Ses yeux brillaient. Comme dans les films j'avais envie de pleurer. C'était le "depuis toujours" et le "je ne te laisserai pas partir". Parce que, partir, je connaissais, c'était mon deuxième prénom. Fuir était le premier. Je connaissais très bien partir, et je l'aimais souvent d'ailleurs, dans la douleur toujours, c'est toujours dans la douleur qu'on perd quelqu'un qu'on aimait, et même qu'on aimait détester. J'ai dit : je voudrais que ce soit la même chose... Je n'ai pas dit mais. Je lui ai dit : tu pourras  me mettre la bague dehors. Il a dit : oui. J'ai pris sa main sur la table. Je l'ai regardée. Il me caressait la base du pouce avec le sien.

Se_repulen

On ne sait pas quoi dire face dans un endroit où les gens beaux se réunissent pour manger. On agite nos ailes de chauves-souris pour se stabiliser. On ne va pas mélanger les torchons brûlés et les serviettes calcinées quand même. On se fait beaux pour sortir au restaurant comme on se fait moche pendant l'amour pour se sentir vivant. Tout dépend de la gueule de ton petit chien qui t'accompagne dans ton sac, tout dépend de ton regard sur les autres. Les perroquets ne sont pas les seuls à apprendre la parole des hommes, certaines femmes connaissent encore mieux les rouages et les manipulations inhérentes à cette parole. On se caresse comme on peut devant leurs yeux, les bijoux brillent de mille feux de joies, on brûlait les détenteurs de Bibles autrefois. Cette poudre qu'ont certains affligés sur le bout des doigts, ce n'est pas tant du maquillage que de la matière des ailes des papillons. La graisse, les huiles et la transpiration animale, propre, fait bien des ravages sur les vitres. Un jour, Marjorie déboule dans ma chambre, les yeux en pleurs. Je lui demande si un connard lui a fait du mal. Elle me répond, surprise : non. Viens voir. Sur la vitre il y avait une trace blanche étrange, comme un oiseau dessiné, on aurait dit une fée. Elle a dit, les larmes prêtes à couler : un pigeon s'est cogné dans ma vitre et il est tombé raide mort à pic. C'est terrible. Elle pensait que c'était un mauvais présage. Mais un mauvais présage de quoi ?

albright

19680883

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Commentaires
A
C'est pas de sa faute si tu te laisses étourdir.<br /> <br /> Sinon, tu peux souffler, te reposer de mon "galop", ben, quand tu iras aux toilettes tout à l'heure.<br /> <br /> Bonne chance.
B
cavalière de l'apocalypse, qui n'en finit jamais de galoper. Quand t'arrêteras tu, que nous puissions souffler un peu? Comme Nicolas S. qui nous étourdit chaque jour.
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