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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
27 décembre 2007

Ils sont seuls comment en Géorgie ?

nangoldinhigh

La route me paraît moins difficile à prendre. Je ne tiens plus chez moi, je réponds à toutes les demandes, je fais le tri. J'ai des demandes qui pleuvent. Viens dîner chez nous. Viens, ne reste pas toute seule. Ne sois pas seule. Etre seule c'est pas bon, on est mal. Lorsqu'on est seule. Surtout pour une femme. Un homme encore, c'est pas si grave, il peut supporter mieux. Ce sont des gens de la vieille école. J'ai besoin de voir ces gens. D'être avec eux, de les comprendre, de voir où ils vivent, de voir leur cuisine. De les écouter, essayer de les entendre, j'essaie. Tous les jours. Je conduis, je réponds aux invitations, je mange chez l'un, le soir chez l'autre. Je vois les yeux des femmes posés sur leurs maris, lorsqu'ils commencent à faire des monologues (Patrice), ou lorsqu'ils racontent quelque chose qu'ils n'avaient jamais raconté avant. Que je vienne. Je suppose, bien entendu, leurs capacités à impressionner les invités, ainsi que les constructions qu'ils se font dans la tête. De la vie des autres.

Elles parlent sexualité avec des lèvres pincées. Le sapin brillait parce que c'était pour les enfants. Si ça ne tenait qu'à elle, elle n'aurait pas mis de sapin cette année. Mais voilà, les enfants. Certains ont des enfants de mon âge. Certains me pensaient plus âgée. D'autres plus jeunes. J'ai ressenti beaucoup de déception, de frustration, de voir que je ne faisais rarement que mon âge, de la vie des autres, leurs âges, ça ne me parlait pas. Au début, quand je les fréquentais un peu, elles parlaient sexualité avec les lèvres pincées. C'était quelque chose de gênant. J'étais très gênée pour elle, d'autant plus que ma place n'était pas avec des femmes comme elles. A la limite, elles n'essayaient pas d'apprendre de ce qui se passait lors de ces conversations. Je me disais qu'elles essayaient d'en parler parce que, justement, ça ne leur convenait pas une fois au lit. Elles n'en parlaient pas aux maris, la plupart connaissaient la place qu'elles avaient, à leur côté. Elles ne voulaient pas tout gâcher en demandant plus de sexe, ou du sexe amélioré. Elles étaient encore maladroites, à quarante-cinquante ans passé. Alors qu'elles se sentaient jeunes, encore.

Il me sous-entend par téléphone : aujourd'hui je me suis travaillé le poignet en pensant à toi, ou alors il me le dit directement. Cela dépend de ce qu'il a fait de sa journée, au bureau. Il m'a dit : tu sais que si le World Trade Center était encore debout, j'aurais été amené à travailler dedans ? J'ai eu des frissons lorsqu'il a dit ça. Ah oui, vraiment ? J'ai dit. J'ai caché mon inquiétude. Comment va ton père ? Mon père... Je... Je me suis un peu brouillé (brouillé ah !) avec lui, parce que je me sentais seule, mais ça n'a duré qu'une après-midi. Et puis je te l'ai pas dit mais je me suis fait aborder par un mec à Virgin, depuis j'en fais des cauchemars. On est peu de choses.

Je conduisais sur une route sombre. Bordée d'arbres de chaque côté. Un homme plus âgé, aux cheveux blancs était assis à côté de moi. Il m'accompagnait. Finalement j'ai stoppé net : au bout de la route il y avait une silhouette humanoïde sombre et menaçante. Je me suis réveillée avec une impression de froid sous ma couette pourtant bien chaude.

Pourquoi tu ne m'as pas parlé de ce mec à Virgin ? Je croyais l'avoir fait. C'était trois fois rien je t'assure. C'est vrai ? Oui c'est vrai. Et toi, aucune occasion ? Denis : Pourquoi tu dis des choses pareilles ? Je plaisantais...tu ne trouves pas ça drôle ? Lui : non, je trouve ça nul. Moi : excuse-moi je ne voulais pas descendre plus bas que terre. Lui : ça va mais je n'aime pas du tout que tu plaisantes là-dessus. Je ne trouve pas ça drôle. Moi : la plupart du temps ça t'amuse que je plaisante là-dessus. Lui : mais pas cette fois. Tu me manques trop pour me balancer à la figure, même pour rire, que j'ai des occasions de m'amuser avec une autre. Moi : c'est le cas ? Lui : oui bien sûr. Mais il n'y a que toi qui m'intéresse dans la vie. Les autres femmes sont là comme un décor, et je n'ai pas envie de toucher à ce décor. Moi : ce n'était pas ce que je sous-entendais. Lui : mais si. Bon, excuse-moi, c'est moi qui m'emporte pour pas grand chose. Moi : non, c'est moi, je n'aurais pas dû plaisanter avec ça. Lui : c'est vrai. Mais je n'aurais pas dû te parler comme ça, j'ai eu une longue journée et faire Noël chez des américains ben...Finalement c'est pas si différent que chez des français. Je crois que je ne suis pas habitué à la langue en fait, ça met du temps. Mais maintenant je suis à ton niveau, je comprends mieux. Moi : aller dans le pays en question c'est mieux que d'apprendre la langue avec...des méthodes...C'est sûr... Lui : Vivement le 5 janvier que je puisse te prendre dans mes bras. Et qu'on fasse l'amour enfin. Moi : tu auras assez d'énergie pour ça, tu ne vas pas t'écrouler de fatigue en rentrant ? Lui : peu importe, tu me manques trop. C'est ça en fait, que je trouvais pas drôle tout à l'heure. Et j'avais crû entendre dans ta plaisanterie sur les occasions, que tu sous-estimais ça. Je n'aime pas qu'on sous-estime mon amour pour toi, même pour plaisanter. Moi : tu deviendrais pas un peu américain sur les bords, un peu soupe au lait ? Lui (amusé) : et encore ma chérie tu n'as rien vu.

Je me suis réveillée avec une impression de froid sous ma couette pourtant bien chaude. Mais j'ai replongé de l'autre côté de ce qu'appellent les éveillés plus communément le conscient. Je marchais dans un long couloir. C'était le couloir d'une maison que je connaissais bien et qui se trouvait en Bretagne. Mon Dieu, comme j'aimais autrefois aller sur la plage, d'un côté il y avait des galets, et de l'autre du sable, c'était étrange. C'était là que j'avais trouvé une pierre...spéciale. J'ai oublié pourquoi elle était spéciale. Denis avait ramassé une pièce devant le restaurant. La nuit. Et à la lumière du phare arrière rouge de sa voiture, il avait vu que dans la pièce une sorte de visage de femme avait été gravé. Je crois que c'était ça qui avait rendu les vacances spéciales. Sinon son ami homosexuel était passé avec son compagnon de l'époque, il a changé quatre fois depuis, ces gens-là ne sont pas stables. Je marchais et j'ai vu mon père debout droit comme un i devant la cuisine. Il regardait en l'air, un étrange rictus lui barrant le visage. Il avait l'air joyeux. Il regardait en l'air avec insistance, dans ses yeux un émerveillement absolu et une passion...inquiétante. Il ne me faisait pas peur mais je ne comprenais pas. J'ai tourné la tête quand j'ai senti quelqu'un me saisir le bras gauche, et j'ai tourné la tête, m'attendant à voir mon père, mais non, c'était un homme en chemise bleue, décontracté, avec les cheveux blancs courts et la peau très blanche, laiteuse, comme je n'aime pas. J'étais si surprise que je me suis réveillée, sous ma couette bien chaude, en tremblant de froid.

Je coche les jours sur mon calendrier électronique au bureau, ainsi que sur la version papier à la maison. Les nouvelles photos de l'appartement te plaisent ? Oui, je sors beaucoup. L'autre jour je suis allée en boîte avec Elodie. Je sais que pour toi ce n'est qu'une gamine, une saloperie de mauvaise compagnie, mais nous dansions comme des folles en boîte, dans une boîte qui n'était pas gay, mais il y avait une soirée spéciale pour les gays. Elodie plaisantait, cette bonne vanne que tout le monde connaît : ils ne se reproduisent pas mais on en trouve de plus en plus. On riait très fort, à jouer les bonnasses, en se frottant, en levant les bras. Elle avait piqué du poppers. Elle a dit : c'est à mon grand frère. C'est un truc de gay j'ai dit le poppers. Elle a dit : pas forcément. Mon grand frère alterne entre les mecs et les filles, alors il est bi. J'ai failli vomir plus tard, de plus en plus j'ai un reflux gastrique, surtout quand je pense trop à toi, ou pas assez. Ensuite quand je suis rentrée, c'était une semaine avant mon trip de champignons, volés à Paris, en passant par Marc et Virgin, et le coup de téléphone de mon père (qui me faisait pleurer avec le temps, de plus en plus, comme une enfant, l'enfant que j'étais, que je serai toujours, que nous sommes toujours jusqu'à la fin, bien après la mort de nos parents... J'imagine ce qu'ont pu ressentir Adam et Eve, leur responsabilité sur les épaules. C'était plus que tentant de ne pas marcher droit comme des esclaves). Je pensais tout le temps à mes peintures et à Claude. Comment il pouvait... Si c'était un amant dantesque (d'enfer). Ensuite je m'étais endormie en me disant : arrête de délirer, pauvre conne.

J'étais si surprise que je me suis réveillée, sous ma couette bien chaude, en tremblant de froid. Je me trouvais sur une maison au bord de la mer. Cette maison se trouvait être la copie conforme de celle de mon oncle, mais avec des différences. Il y avait la mer. Et beaucoup de gens. Des ados et des adultes. Des jeunes hommes pour la plupart. Nous étions là pour étudier quelque chose. Dans le ciel bleu il y a eu un éclair et du fond de la mer quelque chose a explosé. La terre a tremblé. Je flippais à mort. Des bouillons gigantesques jaillissaient des profondeurs sombres de la mer, c'était terriblement angoissant. Le pétrole jaillissait dans de gros bouillons. J'ai reculé, les autres regardaient. Fascinés. Je leur disais : il faudrait peut-être pas rester là. Il faudrait peut-être partir. Je reculais, je suis retournée dans la maison, les bouillons devenaient de plus en plus gros, toute cette eau et ce pétrole mélangé, qui explosait et jaillissait comme ça, c'était gigantesque et...ça se rapprochait. L'eau a fini par monter, toute l'eau de la mer, mais je me suis enfermée dans les toilettes. Je me rends compte qu'elles ne sont pas correctement disposées, on ne peut pas s'asseoir sur le siège pour faire pipi. J'ai pensé : si j'étais un homme, encore, je pourrais m'arranger dans le lavabo. Mais je ne pouvais pas. Ces toilettes avaient une étrange couleur verte. Un vert terne. Je me retrouve soudain sur un lac, on dirait que ça fait des semaines que l'eau a monté. Des survivants sortent des bois encore humides. Ce lac est faux, toutes les villes se trouvent maintenant sous le lac, dans le noir. J'ai peur qu'elles surgissent, j'ai une barque blanche. Un yacht immense arrive sur le petit lac. Il se met à couler. Et les hommes qui se trouvaient dessus essaient de monter sur ma barque. Je fonce comme je peux pour fuir, les arbres tombent les uns après les autres, ils ne tiennent plus. D'ailleurs beaucoup de troncs flottent à la surface. Un homme me fait coucou de loin, j'arrive à éviter les gens du yacht qui se penche de plus en plus sur le côté. L'homme est debout sur quelque chose de solide. Je m'approche. Il est normal, un peu enrobé. Il est très bien habillé, il est sec et il me demande : pourquoi vous n'êtes pas morte ? Pourquoi nous ne sommes pas morts ? Il pleure. Je lui demande : vous voulez monter dans ma barque ? Il répond en pleurs : ma femme et mes enfants pourrissent quelque part dans cette eau... Hé toi, pourquoi tu n'as pas de numéro sur ta peau ? Il me montre ses avants-bras qui forment le numéro suivant : 9 6. 9 Sur l'intérieur de l'avant-bras gauche et le 6 sur le droit. Je me réveille, sous ma couette chaude, je me lève pour mettre mon pyjama en me demandant pourquoi j'ai si froid.

La route me paraît moins difficile à prendre. Je n'ai pas peur de stopper net quelque part en pleine nuit. Je ne tiens plus chez moi, je réponds à toutes les demandes, je fais le tri. J'ai des demandes qui pleuvent de partout, certaines sont intéressantes, d'autres ne le sont pas. Viens dîner chez nous. Viens, ne reste pas toute seule. Ne sois pas seule. Etre seule c'est pas bon, on est mal. Lorsqu'on est seule. Surtout pour une femme. Un homme encore, c'est pas si grave, il peut supporter plus facilement, sous-entendu, c'est tacite, que tu ne supportes pas la solitude, maintenant que tu as le feu, la caverne, la viande et le mâle pour la ramener, le soir après le bureau. Si peu d'évolution fondamentale en autant de temps ça me dépasse.

Ce sont des gens de la vieille école. J'ai besoin de voir ces gens. D'être avec eux, de les comprendre, de voir où ils vivent, de voir leur cuisine. Les odeurs de chez eux m'intéressent, même si elles ne sont pas bonnes. J'ai besoin de les écouter, d'essayer de les entendre, j'essaie. Je ne baisse pas les bras. Tous les jours je retrousse les manches. Je conduis, je réponds aux invitations, je mange chez l'un, le soir chez l'autre. Je n'ai plus d'hallucinations. Je vois les yeux de telle femme posés sur son mari, lorsque celui-ci commence par exemple à faire des monologues (Patrice), ou lorsqu'il raconte quelque chose qu'il n'avait jamais raconté avant. Que je vienne. Je suppose, bien entendu, leurs capacités à impressionner les invités, ainsi que les constructions qu'ils se font dans la tête. De la vie des autres. Denis ira à Savannah dans la famille d'un collègue pour le nouvel an. Je me demande comment ils sont seuls, les gens là-bas, en Géorgie. 

  Nan_Goldin_1984

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