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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
13 décembre 2007

Interférences

_toilesfilantes

Le Prêtre a regardé le soleil quelques secondes. Ensuite il s'est dirigé sur le chemin fraîchement goudronné, il a pensé à cette femme dont les cheveux blonds étaient gorgés de soleil et dont les yeux étaient si intenses qu'on aurait dit deux perles brillantes dans l'obscurité. Pourtant il l'avait observée en plein jour, un matin, avant que le soleil ne monte haut dans le ciel. En début d'après-midi. C'était à présent l'heure d'aller faire la visite aux vieux mourrants, aux malades, aux vieilles veuves, un peu moustachues, qui attendaient l'heure de mourir dans la fraîcheur de leur cuisine. Les cuisines étaient construites de telles façons qu'elles paraient à la chaleur l'été, qui, dans ce pays était intenable. Depuis toujours. Le soleil montait haut dans le ciel. La petite fille se tenait près de la chèvre égorgée. Elle regardait le corps de la chèvre, rigide, et le sang qui l'entourait. Elle avait perdu tout son sang. On voyait l'intérieur de son cou, des mouches se posaient sur le corps, de plus en plus, par vagues. Le Prêtre s'asseoit face à la vieille femme. Quelqu'un en Suisse pense écrire une lettre. Le Prêtre demande : comment ça va ? La petite fille voit sa mère s'approcher. Les gens s'approchent, regardent la blessure au cou de la chèvre. Ils ont besoin d'être ensemble, autour du cadavre. La vallée est magnifique, l'adolescente regarde avec son amie qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau.  A quelques mètres, avec son amie, elle voit les gens se demander quelle chose a pu tuer la chèvre. Tous pensent au loup, bien sûr. Le Prêtre parle de la pluie et du beau temps, surtout du beau temps. Dans le four, quelque chose d'animal est en train de cuire. La peur est le seul langage de l'homme qui vient de rentrer les vaches. Il marche sur le chemin de terre. Dans quelques années, ce chemin sera grossièrement goudronné. Enfin. Les camions frôlent les maisons, klaxonnent comme des malades dans des torrents de poussière. Il prend un hot-dog, il me téléphone. Il mange sur le pouce aujourd'hui, il aime les hot-dogs. Ils apprennent à aimer. Il ne me voit pas, pourtant il croit en moi. Il pense à moi et il m'aime. Encore. L'Amérique, l'obésité, ou les complexes souterrains le menacent. La chèvre morte a été tuée par un loup. Il y a des loups la nuit dans la montagne. Ils traversent les forêts, les feux les obligent à se déplacer. Une nuit, en voiture, la petite fille avait peur. En Espagne. Son père conduisait lentement, dans un brouillard terrible. Dans une route de montagne qui semblait continuer éternellement à monter. Qui semblait monter bien au-delà du ciel, bien au-delà des étoiles. Monter, sans cesse. Mais ce n'était pas l'émerveillement qui hantait l'habitacle. C'était la peur. C'était encore le pays Basque. Et ses affiches agressives et ses ploucs qui essayaient d'envoyer dans le ravin les voitures d'immatriculation française. Comme si leurs revendications communautaristes avaient un quelconque poids dans l'univers. La voiture montait, et il n'y avait pas de glissières de sécurité, entre la route et le vide. On pouvait tomber et le père roulait au pas. Il a dû stopper. Brutalement. A cause de deux points lumineux au milieu de la route, au milieu du brouillard. Le Flatiron Building est magnifique, dommage que je ne puisse pas le voir. Il s'agissait d'une bête, noire, immobile, qui regardait. Elle n'avait pas peur. C'était un loup ou un gros chien noir. La bête s'est avancée. Ma mère a verrouillé instinctivement les portes. Pour  nous protéger. Nous étions heureux. Il faisait nuit, et l'endroit était lugubre. Dans un rêve récent, j'avançais vers un château gothique. Qui était perché quelque part. Une énorme chauve-souris cachait la lune. Je montais. J'allais vers ce château. Et je me retrouvais face à la créature de Frankenstein. Le cadavre de la chèvre a été ramassé. La créature de Frankenstein me faisait monter un escalier à toute vitesse. La mère se prélasse au bord de la piscine. La piscine est tellement bonne, tellement bleue. Un homme qui avait des crises d'épilepsie, un homme de ma famille, dans les années 50, est tombé dans la piscine. Il est tombé. A moins que ce ne soit plus tard, en pleine crise d'épilepsie. La vérité c'est que je n'ose pas en parler, plus j'en parle, et plus j'évite. Je n'en parle pas comme il faut. Sinon depuis longtemps que je n'aurais plus besoin d'en parler. C'est un échec de plus, et c'est la vie. Comme on dit. Il va sous la douche, parfois il en prend des longues. Chaudes. C'est bon. Il fait froid. Et puis il faut s'habituer. Il ne veut pas que j'aille dans le monde : il y a des hommes dans le monde. La chèvre a été mordue par un loup dit un vieux fermier, coutumier du fait. Mais un loup malade, anormal, il y avait un liquide jaunâtre dans la plaie. Qui sortait de la bouche de l'animal. Que vont-ils faire de la chèvre ? Demande la petite fille. L'année précédente elle avait été agressée par son frère, dans les bois, il l'avait violée tellement de fois et si violemment qu'ils avaient été obligés de l'opérer afin de lui ôter l'utérus. Elle va mieux maintenant, maintenant qu'il n'est plus là mais quand elle sera grande, sa seule façon d'avoir des enfants sera d'en adopter. Le Prêtre caresse les mains ridées, il sort. Il aime ce soleil, il aime son pays, il aime son Dieu, parfois, aussi. Les poumons pleins de vie. Comme lorsqu'il prend une douche, et qu'il pense à moi, il bande. Il me le dit quand son cerveau fait boom, comme dans la chanson de Charles Traînée, un classique. Dans sa voiture, il bande, dans le métro il bande, la folie du monde il bande, et dans le sang, quelque chose encore en lui : bande. On ne vend pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, deux yeux rouges dans le brouillard ou l'obscurité... C'est la même chose. La chèvre ne s'attendait pas, dans le noir, à se faire attraper à la gorge, le troupeau a eu peur, le troupeau a tenté de fuir. Combien de chèvres, dans les hautes montages, se sont jetées dans le vide, ont préféré se jeter dans le vide, plutôt que de finir sous les crocs et les yeux rouges du loup ? Mais les loups n'ont pas les yeux rouges... J'étais à une fête, des amis de Denis à Strasbourg. Je devais rentrer, il travaillait le lendemain. Une fête. Il y avait des gens alcoolisés, des gens drogués, des gens sobres, des gens cleans. Je rentre en voiture, enfin. Dans la nuit. Je préfère rentrer. Je ne reste pas. Je ne pouvais pas rester, je me souviens plus pourquoi. Et je vois une lumière rouge dans le ciel qui bouge d'une drôle de façon. Elle sortait des nuages, y retournait. Antonio et moi on regardait le ciel au Portugal, les étoiles là-bas étaient fantastiques. Tellement visibles. Les étoiles et une odeur de sperme, il ne s'était pas lavé. (Il faut que j'arrête de ne pas en parler quand j'en parle, quand je crois en parler vraiment). Et nous avions vu une lumière très intense et colorée, qui bougeait dans le ciel. Je lui avais demandé : c'est un satellite ? Il avait dit : non. C'est pas un avion non plus. Les yeux rouges du loup en Espagne avait hanté l'esprit de la jeune femme jusqu'au Portugal. Elle s'était arrêtée à une fontaine d'aire d'autoroute. Un homme blanc, très grand, dans les un mètre quatre-vingt-dix-deux-mètres l'observait, immobile, les mains dans les poches. Il portait un pantalon blanc et une chemise blanche, avec des alvéoles aux aisselles, il transpirait comme un boeuf. Il était pas mal, à distance. Mais il y avait quelque chose qui clochait chez ce type. Il regardait fixement et ses yeux étaient très clairs. Et fixe. Son visage était osseux, mais pourtant pas mal, malgré tout. La jeune femme avait bu à la fontaine, malgré les microbes, elle s'en fichait, elle ne voulait pas vivre de toute façon. Elle a senti le regard de cet homme, qui n'était pas normal. Elle a décidé de le regarder aussi. Elle avait l'impression qu'une bête l'avait prise en chasse. Elle se disait : c'est moi, j'exagère, je suis folle, je suis démente, je suis perverse, je crois que tout le monde m'en veut, en particulier les hommes. Mais non. Il continuait de regarder. Elle avait une revue dans la voiture, ouverte à la page d'une énorme centrale nucléaire en photographie. C'était un dessin, un croquis. En fait, c'était un article sur les futures centrales nucléaires. Mais l'homme n'avait rien d'humain. C'était peut-être son regard qui était tronqué, peut-être elle. C'était sûrement nos regards qui rendaient les choses fantastiques ou au contraire ordinaires. Le Prêtre aimait cette fillette qui avait perdu son utérus, c'était un fait. Il avait des érections de cheval, lorsqu'il se tenait à côté d'elle, et jouait les choqués de service avec ses parents, sa mère était très pieuse, elle avait des clichés, des dessins plutôt de l'apparition de Fatima. Fatima. La Main de Fatima, que souhaitait m'offrir la tante de mon Père. Elle devenait folle, j'ai l'alliance de son mari. Pourquoi une alliance d'homme aurait-elle dû m'être remise ? La nuit suivante, trois agneaux furent tués par le loup. Et partiellement dévorés. Un mec m'écrit : " tu es juive ? Avec l'étoile de David dans ton blog... Tu es Juive ? Dit. Parce que les petites Juives ne sont pas baisables, j'ai essayé. Elles se font baiser par leur père, je sais. Je le sais bien, il suffit de voir leurs touffes. J'aime pas ta saloperie de croix Juive dans ton blog, sinon il est plutôt cool, ton blog. Enlève ta croix s'il te plaît, ma chérie, et met plutôt notre enseigne à nous (une croix gammée). J'espère un jour te croiser quelque part pour te fourrer". Je suis pas Juive, mais c'est tout comme. Je suis pas Américaine, mais c'est tout comme, pas Espagnole mais c'est tout comme. Je suis pas Humaine, ni Terrienne, mais c'est tout comme. On ne peut pas tous venir du même monde, c'est d'ailleurs qu'on vient, la plupart du temps. Le brouillard en Espagne te dira le contraire, fourrer la dinde Juive, pourvu qu'elle n'appelle pas ça Noël, et que ce ne soit pas lié à des signes astronomiques connus depuis le fin fond des âges et des premières prières. Où est ma Ménora ? Pourquoi tant d'oublis depuis, tant de mépris ? Tant d'ignorance, tant d'indécence, et tant de morts ? Pourquoi la mortalité augmente potentiellement dans tous les coeurs des enfants qui viennent à la vie en ce monde où les loups sont noirs en Espagne et attendent les voitures comme s'ils allaient pouvoir les mordre sur la route ? Si tu savais comme je suis lasse et comme j'ai mal au dos, comme mon dos est cassé, cassé de tout ce sucre, que tu as servi, sur la table, le Prêtre avait peut-être des érections à côté de la petite fille, ça ne veut pas dire que c'était un pervers pour autant, j'ai peut-être mal interprété. Les pères bandent à côté de leurs enfants, les enfants ne le voient pas, sauf ceux qui regardent l'entrejambe de leurs pères. Plusieurs pères, plusieurs chèvres, des agneaux, des démons, et des sauterelles vertes cornues que j'écrasais dans la poussière du Portugal. De loin on pouvait voir la maison et aussi au loin l'antenne de relais, elle clignotait dans la nuit, c'était un oeil rouge qui clignotait. Antonio levait le bras et pointait du doigt ce qui bougeait anormalement au milieu des étoiles, et au lieu de regarder ce qui bougeait anormalement au milieu des étoiles, je regardais son bras, sa main, ses doigts épais et forts. La vie à l'intérieur et le désordre invisible était certainement la clé de ma destruction, de mon salut, de ma renaissance, de ma petite mort. Toute petite mort. Toute toute toute petite petite petite mort. Son désordre intérieur. Regarde, une étoile filante. Regarde, une autre. Ton doigt qui montre. Son doigt qui montrait. Le Prêtre rentre dans son église. Je le voyais parfois le dimanche. Il y avait un confessionnal, dans la pénombre. Frais, comme les cuisines dans les maisons. Il sort de la douche, il téléphone. L'appel est parfois étrange. L'autre jour, j'avais l'impression d'entendre une autre voix dans la ligne, une voix d'homme, qui grinçait, et il y avait des bruits de friture et mécaniques. Denis me disait : je n'entends rien moi. Tu entends quelqu'un d'autre dans la ligne ? Oui, c'est étrange non ? Non, des interférences, juste des interférences. Tu m'entends ? Oui je t'entends quand même, mais il y a un type dans la ligne qui parle l'espagnol. C'est désagréable en fond sonore. Tu veux que je te rappelle pour voir s'il disparaît ? Regarde, encore une. Encore une étoile filante. Je raccroche, j'attends. Je regarde fixement le téléphone. Pendant ce temps, le loup, ou le chien noir, ou le monstre, la gueule pleine de sang court dans la forêt de pins. Il y a des loups dans les forêts de pins ? Les eaux calmes autour de la Statue de la Liberté éclairée, la piscine, et le bras qui est levé vers le ciel, avec le doigt qui délimite bien clairement les constellations et les étoiles filantes. Regarde, encore une. Encore une autre. Je ne devrais pas être là, je ne devrais pas être là, au creux de son épaule. Non. Le téléphone sonne. Le Prêtre se couche. Je décroche. Le loup fonce à travers la forêt sombre qu'il connaît mieux que personne, et il n'a pas les yeux rouges mais luminescents dans le noir. Il court parce que rien ne s'arrête pour lui, dans les sentiers du dragon, appelés ainsi parce que les sentiers faisaient beaucoup de virages et croisaient d'autres chemins créés sauvagement par des gens errants qui coupaient à travers les arbres et les buissons. C'est par là que la fille a été violée par son grand frère jusqu'au sang. Les brouillards d'Espagne se sont dissipés depuis ou sont allés au dessus de l'Atlantique en passant par le nord du Portugal.


fatedescends

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