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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
15 novembre 2007

J'étais Babylone la Grande

corcovado

On m'enseignait que bientôt, très bientôt, la fin du monde emporterait le système actuel, dirigé par des méchants et des hommes corrompus. Et que si je croyais de tout mon coeur en Jéhovah, j'allais être sauvée, et ma famille aussi. Thomas les fréquentait plus que moi et fuyait un peu la réalité de l'époque : notre mère trompait notre père et avait donc une liaison avec quelqu'un d'autre. Un homme que j'ai vu rôder autour de la maison plusieurs fois, quand j'étais petite. Les Vosges peuvent avoir beaucoup de charme en hiver. Cependant, on (moi en fait) aura toujours l'impression de côtoyer des paysans. Cette liaison semblait le faire beaucoup souffrir, Thomas avait une peur panique d'un éventuel divorce de nos parents. Thomas, ses beaux yeux noirs, sa voix douce et posée. Aujourd'hui, il est devenu Ancient, c'est un Ancient, il a une place particulière, un rôle à jouer. Dieu Jéhovah est son Dieu. Nos parents l'ont toujours laissé libre de choisir, mes parents étaient catholiques, et leur Dieu était Jésus Christ. Pour Thomas, Jésus Christ était le fils de Dieu, le vrai fils de Dieu et pas Dieu lui-même. La Saint-Trinité était une invention humaine, démoniaque. Un tour de Satan, pour tromper, leurrer, apeurer les hommes.  J'apprenais avec lui, et avec des témoins, mes parents étaient ouverts à tout ce qui n'était pas comme ils le désiraient. Regardaient de loin, un peu dépassé par l'enthousiasme de Thomas et débordés par leurs propres problèmes de couple. Souvent, j'étais terrifiée et fascinée à la fois par les dessins dans les livres d'études : Le recueil d'histoires bibliques notamment, à couverture jaune, cartonnée, était éloquent à ce sujet. J'angoissais avant de l'ouvrir, mais j'aimais ça en même temps. Le soir je regardais les étoiles, émerveillée : Dieu veillerait sur moi. A l'école ce n'était pas vraiment le cas : la loi était différente, et on m'apprenait que c'était Satan qui gouvernait les autres : sauf qu'ils l'ignoraient. Je me sentais meurtie et déchirée à chaque fois que je prenais du plaisir dans un jeu avec mes petits collègues du monde imparfait. La culpabilité a fini par passer, lorsque j'ai dépassé mes maîtres dans les études : j'émettais des hypothèses sur Dieu et l'histoire de l'humanité, chose qu'il n'est pas acceptable pour eux de faire, et qui est particulièrement imbécile (et démoniaque). Satan nous trompe lorsque nous nous écartons de l'étude biblique. Evidemment. Pour eux. Pendant six mois, la culpabilité totale à ressentir : quand j'étudiais avec eux, j'étais spéciale puisque je croyais en Jéhovah le "vrai Dieu" comme ils disaient, j'avais la vérité, la science infuse, le bon oeil sur l'Esprit. Jésus Christ était revenu d'une manière invisible en 1914, on continuait le mémorial malgré ça, on avait les pratiques qui étaient justes, le vrai Dieu pouvait être fier. Sa colère allait être terrible, nous allions être sauvés, etc. Le vin était le sang et le pain était le corps, la chair en fait. Le corps ça veut dire la chair, ils ne sont pas très précis. Le mal et le bien étaient alors ma religion et j'étais contente de faire partie du bon côté, du côté des gens du bien. Mais c'était douloureux d'aller dans le monde des gens du mal, et d'y trouver, parfois, des gens biens (effectivement). Je ne me sentais pas supérieure : juste enseignée. Je savais et les gens qui m'apprenaient semblaient savoir aussi. C'était des adultes. Pourtant la fracture a commencé à cette époque-là à se faire ressentir dans mon coeur, dans mon être : je développais des théories, posais des questions contradictoires sur ce qu'on m'apprenait. C'était plus fort que moi. Partout je le faisais. C'était plus fort que moi au point parfois de ne pas avoir besoin de dire quoi que ce soit pour paraître comme l'agitatrice de service, le mouvement "contre". Un simple regard suffisait à être interprété, notamment dans la Salle du Royaume, les églises des Témoins de Jéhovah. Je me souviens de cette fois où j'étais assise, je venais d'entrer, j'ai regardé un homme, moustachu, qui était avec sa femme, tous les deux bien portants, il m'a regardée et a dit tout haut : ce n'est pas chrétien que de regarder les adultes comme ça. La honte est venue tout de suite, sa honte à lui. Il fallait "craindre" Dieu. Craindre signifiait dans ce sens lui obéïr et croire en lui. Le servir. Servir sa puissance, sa grâce. L'extase. Mais n'empêche que l'oreille retenait le premier sens de "craindre"... Thomas s'y épanouissait lui. Contrairement à moi, qui m'intéressais naturellement à autre chose. Un an plus tard, à neuf ans, j'arrêtais de moi-même l'étude biblique. Mon frère m'appris alors que si j'arrêtais, je n'allais pas pouvoir être aimée de Dieu, ni même être sauvée lors de son jugement final. Le but de l'étude biblique est de choisir le baptême un jour. Afin de devenir Témoin. A son tour. C'est l'aboutissement, qui permet de faire de soi une personne pure afin de vivre plus tard dans une terre transformée en Paradis Terrestre (dans les dessins, on voit des personnes assez bourgeoises manger des fruits en souriant dans un grand jardin où jouent des enfants avec des lions). Je lui répondis que j'étais une enfant et que je ne méritais pas de mourir. Mais ça ne semblait pas importer dans la décision de Dieu, après tout, les enfants portaient eux aussi la faute d'Adam et Eve. Nous n'étions, et nous ne sommes, tous, que des fils d'hommes. C'était la dernière fois avant très longtemps qu'il me parlait des Témoins, du Christ et de Jéhovah. La première fois que mon oncle a demandé une fellation, il a parlé de Dieu aussi, car il disait à qui voulait l'entendre qu'il croyait en Jésus Christ. Quand il a tenu ma tête, contre le mur et lui, j'ai vu sa croix autour de son cou, à sa chaîne, jaillir, ça brillait, c'était surréaliste. Son sexe était salé et sentait l'urine, rien que de l'écrire le goût et l'odeur me reviennent. Je m'étais détachée des Témoins mais j'avais toujours en mémoire la fin du monde, les purs et les impurs, ceux qui seraient sauvés et ceux qui seraient "retranchés" comme c'est écrit dans la bible. Je n'ai pas totalement compris pourquoi mais j'ai compris moi qu'il avait envie de se faire sucer. Le même jour, il parlait à table, le monde était différent, je n'avais encore jamais sucé un homme. Il disait après le repas, à mon père : "ton fils, c'est bien qu'il soit libre de croire en ce qu'il veut (encore heureux) mais ces Témoins de Jéhovah...Ils disent de nous, les Catholiques, que nous sommes dans la fausse religion". Ce jour-là, Thomas était justement parti pour toute la journée avec des Témoins de Jéhovah de Vila Real. Je ne ressentais aucun danger ce jour-là, j'étais bien loin de m'imaginer ce qui allait se dérouler quelques heures plus tard. Les fissures du coeur se sont faites plus fortes, une partie du coeur est tombée, forcément, et Dieu dans tout ça allait quand même revenir, et tuer les mauvais, les méchants, ceux qui tenaient le monde par l'entrejambe, masculin donc, forcément. C'était sans issue, sans espoir : je me demandais si Dieu, que je n'appelais déjà plus Jéhovah, allait me pardonner ce que j'avais fait avec mon oncle. J'aurais pu me demander si Dieu allait lui pardonner ce qu'il m'avait fait. Mais j'avais préféré la première option, grâce aux Témoins, en partie, j'avais la cupabilité facile à mettre d'office dans mes poches. Je regardais les constellations en ce temps-là. Déjà. Mon oncle me disait qu'il tombait amoureux de moi. De plus en plus je le croyais, et plus je le croyais, plus j'avais mal. Croire : de plus en plus je ne priais plus Dieu, de plus en plus. Et cela aussi me faisait du mal. Mais j'avais beau les croire, ce n'était qu'à cinquante pour cent. Mais la voix qui me disait que peut-être, ils mentaient autant que le reste ne s'affirmait pas. La voix de la raison était morte, éteinte, ou alors mise entre parenthèses. Le pouvoir de la peur. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la peur. Foutez la trouille à une bête, à un enfant, et vous pouvez lui faire faire n'importe quoi, vous pouvez le commandez. Le sexe aussi, est lié à la peur, à l'effroi. Donc comme le Diable, je n'avais de maison nulle part. Alors je lisais. Et je pouvais alors, le temps de quelques heures par jour, sortir de l'amour de mon oncle, de l'amour des Témoins ; décidément, tous ces gens avaient beaucoup trop d'amour à donner et à revendre. Au Portugal, je ne comprenais pas pourquoi on trouvait le nom de Jéhovah sur des Croix supposées Catholiques. Les Témoins de Jéhovah ne croient pas que le Christ soit mort sur une croix. Pour eux, c'est un mensonge, un mensonge païen, donc forcément issue de la fausse religion, donc provenant de Satan le Diable, qui existe vraiment pour eux, et qui tient une place importante dans le culte, puisque son existence est régulièrement rappelée. La méchanceté des hommes s'expliquent par les actions du Diable sur eux. Le mal ne proviendrait pas directement de nous-mêmes : nous ne sommes que des enfants, finalement, incapables d'assumer notre libre-arbitre dans le mal. Je peux vous dire que si : dans le mal moi j'ai affirmé ma position, qui n'était pas sexuelle mais en tout cas symbolique. Je ne comprenais pas pourquoi on trouvait le nom de Jéhovah dans des cathédrales, dans des chapelles, des églises. C'était complètement contradictoire avec ce qu'on m'avait enseigné. Mon physique changeait, mon visage. Je n'oublierais jamais ce jour ou mon père a commencé à le remarquer. Les yeux d'un père, sur le physique changeant. Et surtout le visage. Le visage change. On devient autre chose, quelqu'un d'autre, ce qu'on a été, on est même pas certain que c'était vraiment soi. Un jour il m'a demandé en souriant tristement pourquoi j'avais le regard si noir et si triste depuis quelques jours. Les années suivantes, j'ai appris à changer ce regard en sa compagnie. Mais rien ne fait, les mouches restent près du mort, lorsque celui-ci vient d'être fraîchement tué. En Irak ou ailleurs. L'amie d'une amie de Dominique a trouvé un cadavre d'homme dans la forêt une fois, dans une fosse, le cadavre d'un homme, dans un état de décomposition avancée. Et il n'était pas crucifié. Mon père a vu un homme coupé en deux près de Bordeaux, sur la route. Les gens lui roulaient dessus. Sauf lui qui a fait un détour. Ce jour-là, lorsqu'il a remarqué que j'étais triste, anormalement triste, sans raison, sans des raisons qu'il pouvait comprendre, qu'il pouvait envisager, les autres n'envisagent pas l'horreur pour eux-mêmes ou pour des membres de leur famille, je crois que nous avons fait un grand pas, finalement, pour nous-mêmes, et pour nous deux, voire même pour notre famille entière, oncle compris. Ce jour-là. Du regard du père. Au fur et à mesure du temps, passé avec mon oncle, des promenades en famille où j'allais devant, où il me rejoignait pour me parler, les mains dans le dos, pour me dire que j'étais très belle, ma mère, sa soeur, quelques mètres derrière avec ma tante, sa femme, pour me demander si j'allais bien, avec une pointe de sincérité qui me nouait les tripes, je me demandais comment je pouvais croire en une puissance divine, et surtout celle-ci. Je ne voulais pas que ça soit faux, je ne voulais pas que ça soit vrai, je voulais juste que ça soit. Claudia avait certainement eu des rapports sexuels avec lui. Elle le regardait d'un drôle d'oeil aussi. Claudia, mon amie Claudia, si belle Claudia, qui est également mon deuxième prénom. J'aurais préféré Claudia à Angeline. Elle avait beaucoup de garçons, elle avait tous les garçons qu'elle voulait, elle était tellement belle. Moi j'avais un regard noir, et je n'entretenais pas mes cheveux. Et j'étais une freak. Et je prenais de la drogue, d'après les mamies commères du village. Chose qui à l'époque, ne m'intéressait pas du tout. Il y avait quatorze personnalités en mon oncle. Une sincère, qui s'inquiétait des gens. Une autre qui aimait leur donner ce qu'ils souhaitaient. Une autre qui me proposait sa bite avec violence et menaces à l'appui. Un autre qui me disait des je t'aime fièvreux, en m'embrassant les seins et le cou. Partout, et parfois, à ma grande honte, ce fût délicieux. Il était aussi cynique, parfois moqueur, parfois dépressif, une fois il a pleuré dans mes bras, parce qu'il me faisait du mal (en gros, comme si un nazi allait pleurer dans les bras d'un petit Juif squelettique pour le mal qu'il est en train de lui faire). Un jour, il m'a dit que Dieu était certainement mauvais pour laisser faire tout ça. Tout ce qu'il savait faire, c'était d'aller à l'église le dimanche pour faire acte de présence. Dans son village aussi, les processions, on faisait passer le curé de maison en maison, pour qu'il les bénisse, et les gens lui donnaient de l'argent. Une Vierge Marie de porcelaine entrait aussi dans la maison, elle accompagnait le curé. Dans les prés, mon oncle pénétrait Claudia, qui hurlait de rire, parce que c'était dans un pré, pas loin des vaches. Mais il éjaculait sur elle, pas en elle. Ils n'avaient pas toujours de préservatifs à portée de mains. Un jour, j'avais très peur, je l'ai menacé à son tour, fermement, et ça lui a retourné le cerveau. Il a tenté, par des allusions lourdingues, de me reconquérir, si on peut dire, mais je tenais bon, malgré ma peur de ne pas pouvoir y arriver. J'ai tenu bon, j'avais très peur pourtant. J'avais été violée sa main sur la gorge, qui serrait trop fort de temps en temps en 1997. Voilà ma première réussite dans la vie : dire non. Je n'ai pas entrepris grand chose dans ma vie, mais cela, c'est ma toute première réussite : j'ai dit non à une chose qui souhaitait m'oppresser. Quelqu'un qui croyait en Dieu, mais qui allait à l'église. Ce n'est pas un point important dans sa personnalité, n'empêche qu'il m'avait forcé une seule et unique fois, à caresser le sexe de son ami, le curé du village de l'époque (qui n'est plus le même aujourd'hui). Jéhovah très lointain de moi, j'étais définitivement perdue, finalement tant mieux. J'avais les livres des autres, qui ne savaient pas que la fin du monde aurait lieu sous le courroux de Jéhovah. Je n'avais pas besoin de lui pour trouver ce qui était bon ou mauvais pour moi. Je devais réagir par rapport au monde, tout le monde, tout ce qui faisait le monde, je n'avais plus peur du Dragon. La fin du monde était la seule chose qui était restée dans ma tête cependant, et peut-être même la seule chose qui était restée dans mon coeur. Peut-être parce qu'elle me séduisait. Mais à présent, je n'avais pas peur d'être tuée par Dieu au jugement dernier : en effet, vu la teneur des gens qui voulaient vivre au Paradis, des faibles, des aveugles, des ignorants et des arrogants, je préférais mourir, ne pas y aller avec eux. Les années passèrent, et la fin du monde de plus en plus se précisait, mais pas de la façon prévue. La pluie est tombée en moi. Le calme aussi, la recherche de ce qui faisait peur à Jéhovah. Il suffit d'une seule rencontre pour tomber dans la prostitution. Voilà dans quoi je n'aurais jamais pensé tomber, comme on tombe amoureux, mais l'éloge n'est pas au rendez-vous : le misérable non plus. Juste le blanc. Le blanc. De plus en plus, j'ai comme un blanc. Face à cela, il y avait ces vieux bonhommes à Brooklyn, qui de leur Watchtower, étaient en contact direct avec Dieu Jéhovah. Face à Manhattan, juste en face du World Trade Center, que Denis voit souvent, la construction de la Tour de la Liberté. Mais de plus en plus, je tombais sur des hommes de pouvoir et d'argent : je venais de découvrir, comme une enfant dans la stupéfaction, que non seulement Dieu n'était pas Jéhovah, ni Allah, ni Jésus Christ, ni même Krishna, ni même Michael Jackson, pas plus qu'Elvis, mais qu'en plus, Dieu avait très envie de détruire le monde, non pas pour un futur paradis, mais un paradis pour une unique classe sociale. Le choc. Je suçais de moi-même les sexes de ces hommes, et les faisais beaucoup parler d'eux. J'ai une certaine facilité pour attirer la chaleur, la compréhension, l'intelligence (et je me lance souvent des fleurs vaines aussi, ça marche toujours). Ils avaient facilement confiance en moi. J'étais jeune, je suçais des bites, donc forcément, je ne devais pas voler haut, intérieurement. Intérieurement, j'étais personne, personne n'irait répéter à quelqu'un, ce que j'entendais sortir de leurs bouches. C'est la chose, la chose, la chose, la plus importante, ce qui sort de la bouche des autres, il faut toujours être séduit par ça en priorité. Et je ne parle pas de vomi. Il faut toujours toujours toujours écouter ce qui sort de leurs bouches. Pas de leur sexe, pas de leur anus, pas de leurs oreilles, les poils qui se battent en duel : leur bouche. De leur bouche. Il faut toujours toujours faire attention à la bouche, à la langue, comment elle roule les mots, tes mots, nos mots, les miens. Comment ils te prennent, et ensuite te revendent. La vente de la sexualité est moins choquante que la vente illégale d'organes, ou d'enfants, certes. La pute, aux yeux de la société, aux yeux du Christ, d'Allah, de Jéhovah, est plus mauvaise que le trafiquant d'armes, ou que le voleur d'organes, pour en faire un traffic. Allez comprendre. En revanche, les pédophiles sont pires que les putes. Mais quand même, elles sont dans les derniers des derniers, et c'est bien normal : c'est mal me disait mon oncle. Il posait ses fesses dans une église quand même. Mon Dieu. Jéhovah était loin, je ne ressentais plus de culpabilité vis-à-vis de lui. Je me sentais égoïste, mais en fait non : j'apprenais juste, paradoxalement, l'estime de soi. Pourtant, je ne suçais pas que de la bite de banquier, simple monsieur d'argent, je suçais aussi la bite d'égyptologue nostalgique de secrets, la croix, la couronne, les grands manoirs, les grandes maisons, tout ce qui brille pour certains d'entre eux, l'élite de l'élite, c'est très important, la chair ils sont comme des pères avec elle. Jéhovah, tellement loin, tellement proche. De moi. J'avais appris qu'il avait fait les montagnes, les océans, celui qui me sépare d'un homme, du sexe d'un homme que je connais par coeur, l'épaisseur, la taille, la longueur. La sensation que ça fait de l'avoir dans la main, c'est une sensation différente avec chaque homme. Forcément. Les montagnes, les déserts. Les constellations qui veillaient sur les momies, pour qu'elles puissent les voir. Et moi j'avais la langue bien pendue, je bouffais. J'en bouffais. Et ils parlaient ensuite. Ils avaient des croix parfois, comme mon oncle. Qu'ils portaient pendant qu'ils entraient. En moi. Certains m'ont dit : Dieu n'existe pas. Des hommes d'argent, de pouvoir, des banquiers, des boursiers, souvent très gentils. Mais je ne pouvais pas m'empêcher, souvent je les imaginais torturer des femmes ou des enfants chez eux, dans leur cave, transformée en chambre des tortures. Et je dois dire que pour certains, à les entendre, j'en étais presque certaine qu'il avait déjà tué gratuitement quelqu'un. Un faible. Un d'en bas. Un sans rien, un moins que rien. Je le sentais. Cela vibrait en moi. Ensuite, le soleil est monté, Jéhovah n'avait plus d'emprise sur moi, sur mon frère au contraire, malgré quelques petites contrariétés. J'ai avancé jusqu'aux châtaigniers. Ensuite, ils l'on enterré, et je suis rentrée en France, très vite. Je regardais les constellations la nuit. Les cauchemars ont commencé plus tard. Les portes grinçaient, toutes les portes, comme la grande grille noire. Le portail aussi. Je confondais dans mes rêves un homme avec une grille noire, qui grinçait, lorsqu'on la poussait. Les chats noirs toujours la poussaient, même en sautant dessus pour la faire vaciller. Ils avaient appris. Un homme est entré un jour et je l'ai trouvé différent. Loin des donneurs d'amour, mais il en avait, lui aussi, à revendre. Mon corps me faisait souffrir encore. Mon squelette en particulier, de trop. La fin du monde avait un autre visage, et moi aussi. Le noir m'allait bien, au fond des yeux. Le noir pétrole. Pas de place pour celui qui est né dans la bergerie dans le noir pétrole, à moins que ce ne soit l'inverse. Mais j'avais prié Dieu de tout mon coeur, à l'époque où j'écrivais des nouvelles sur dix pages, où déjà je construisais, écrire c'est construire pour mieux parer, ou carrément détruire, et à cela  Dieu me répondait : tu ne sais donc pas faire la différence entre la littérature et un témoignage ? Paradoxalement, la fin du monde a changé de visage : d'effrayante, elle est devenue presque amicale. La fin du monde, c'était moi, pour lui, en quelque sorte. Cet homme qui était rentré un jour avait apporté une différence avec les autres. Pourtant, comme les autres il était malade de son métier, qui allait faire de lui un vieux pourri ne servant à rien un jour. Mais quelque chose changeait : je ne sentais pas en lui la pulsion meurtrière, la soif de chair que je pouvais parfois sentir chez les autres. Je l'ai perdu de vue. J'ai rencontré un autre homme, plus âgé. Je l'ai aimé. Je l'ai sucé. Aussi. Dieu je ne l'ai jamais sucé. Cet homme croyait en Dieu, mais priait la Vierge Marie. Accessoirement, il avait des revues pédophiles cachées dans le faux-plafond de la salle de bains. C'est en voulant changer une ampoule que j'ai vu que la plaque avait été mal remise. En la soulevant, j'ai senti quelque chose dessus. Au bout de six mois de bonheur parfait, il a commencé à boire. Il avait, en fait, commencé bien avant, dans mon dos. Il me frappait. Dieu se vengeait, la fin du monde aussi. Jéhovah, n'en parlons même pas. Un jour, il se lève, bourré, en pleurs. Il regarde partout autour de lui et il me dit : tu devrais partir, sinon je vais te tuer. Je suis allée faire un tour. En rentrant, il pleurait encore : tu devrais me quitter parce que tu vas être malheureuse. Une autre fois, il pleurait en me disant : j'ai du sang sur les mains (lui aussi, comme par hasard). Je l'ai fait parler. Il avait été inspecteur de police, aujourd'hui on ne les appelle plus inspecteur, je ne sais plus comment on les appelle. Il m'avait parlé de Pierre Bérégovoy. En pleurs, il avait du sang sur les mains à cause de Pierre Bérégovoy. Je lui ai dit : mais il s'est suicidé non ? Le 1er mai 1993 ? Non, me dit-il, je peux pas t'en dire plus. Je peux pas t'en dire plus. Lorsqu'il n'était pas ivre, il jouait l'homme parfait, sain, intelligent. Lorsqu'il était bourré, il me racontait ses escapades pédophiles au Maroc, avec Michel, un vieux monsieur riche, moche, forcément, très riche donc, et qui avait une perruque qui lui avait coûté une fortune (quinze mille francs je crois, je ne m'en souviens plus). Mon ex-mari aimait la Vierge Marie. Je lui avais parlé de mon enseignement avec les Témoins de Jéhovah. Il me disait que c'était une secte, tout en priant la Vierge Marie, qui n'avait pas de secte à elle, puisqu'elle n'avait pas baisé pour avoir le Christ. Comme quoi, un Dieu ne s'abaisse pas à bander, comme n'importe qui de vivant. Je l'ai quitté, pour ne pas que la fin du monde me rattrape. Grâce à une amie, je suis allée habiter plus bas dans la France. J'ai rencontré des gens biens là-bas. Et j'ai commencé ce blog, loin de Jéhovah. Ce nom était écrit, paradoxalement (ou pas) sur des croix. Grâce à ce blog, Denis a retrouvé ma trace. C'était l'homme différent des autres, les autres qui venaient pour me payer quand j'ouvrais la bouche et le sexe. Nous nous sommes revus. Sporadiquement sur quelques mois. Ensuite je suis allée au Portugal avec lui. J'ai mis des fleurs sur la tombe de mon oncle. Elle avait une croix, Jésus Christ veillait donc sur lui, Jésus Christ était mort pour ses péchés, donc je n'avais rien à en dire, je n'avais presque plus le droit de me plaindre encore. J'ai couru, j'ai pété un plomb, j'ai couché avec un père de famille allemand à la peau sombre, nous sommes rentrés, j'ai rencontré l'Artiste parisien qui se comportait comme mon oncle lorsqu'il me baisait. Denis m'a cogné une fois à cause de ça, j'ai pensé l'avoir mérité, j'ai arrêté de le tromper, sous le christ nous sommes passé à Lisbonne, les bras ouverts, accueillants. En dessous, il y a moi, Denis me prend en photo. Il me trouvait belle l'été 2006. L'été 2007, une cigale se pose sur son coeur à Marseille. Tel le Christ touchant le coeur d'un homme, qui se révèle à lui. Thomas est toujours Témoin de Jéhovah. Il a même, grâce à cela, rencontré sa femme. Ils sont en Afrique, comme de nombreux autres groupes religieux, afin d'évangéliser une population lassée des pitreries poussièreuses des Catholiques ou pas forcément attirée par l'agressivité des ignorants musulmans. Moi tout ce que je peux dire, c'est que j'ai trop pensé à la fin du monde, et que j'étais pas assez vieille pour envisager de l'affronter. Et finalement, j'ai compris une chose : qu'elle arrivait toujours, à un moment ou à un autre, dans la vie de quelqu'un. Et qu'il fallait peut-être l'embrasser, lui ouvrir les bras, comme ce Christ là-bas, dans le pays de mon apocalypse à moi, ma révélation à moi. C'est la même chose. On dit bonjour à son voisin qu'on croise, même s'il a fait trop de bruit la nuit dernière, en criant sur sa femme. On lui dit bonjour comme on respecte les gentils gendarmes qui font traverser les enfants à quatre heures comme avant. On reste poli, malgré la fin du monde, et pour les aigreurs d'estomac, des comprimés avec un grand verre d'eau de source. Et au passage, on sourit à ceux qui veulent nous tuer ou nous nier. C'est mieux si on fait un grand sourire, en toutes circonstances, aux instances des ténèbres.

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