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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
14 novembre 2007

Rose sans raisons

1976

Rose n'attendait pas de l'anglais qu'il lui propose le mariage. Son cadre bien dur, ses poils sur le torse bien distribués, comme un dessin programmé, Rose n'avait pas l'habitude avec ce genre d'hommes. Elle faisait souvent de l'aérophagie lorsqu'elle tombait amoureuse, et des plaques rouges apparaissaient sur son dos et sur ses cuisses. Avant le mariage, ce n'était pas encore trop grave.
Le cadre dur, éloge de la nuit, de bien larges épaules qui auraient fait tourner la tête des femmes et même de certains hommes. Son petit ami lui a dit : si tu m'aimes, alors tu m'attendras, je serai bientôt de retour en Amérique. Lui, il pleurait, il ne fréquentait pas trop le milieu. Il délirait. Et dans ses délires il se masturbait, pour essayer de dormir un peu. Il venait d'avoir quarante-cinq ans.
Ils s'aiment, Rose ne prétend pas le contraire. Son amie Marie-Claire, Jeanine, elles savaient aussi. Dans le miroir de la chambre, il fallait bien se regarder. Elle aimait surtout voir l'anglais se déshabiller. Enlever sa montre, son bracelet. Enlever toutes les mauvaises pensées, toutes les choses qui ne faisaient avancer personne.
Ses caresses sont passées. Ses odeurs, ses bruits, dans son sommeil, sa voix qui grinçait parfois. Toutes les choses déplaisantes appartiennent à l'Amérique, qui me fascine. Peut-être le plus loin possible d'ici, un jour je serai quelqu'un, quelque chose. Devenir une autre personne est tentant pour un million de personnes, au moins. Etre soi ne veut rien dire, avoir sa propre religion non plus. Avoir celle des autres, pareil. Ses caresses étaient si douces, si bonnes, et elles me rendaient tellement vivante. Tellement morte.
La plupart du temps, la culpabilité ne rongeait pas le coeur de Rose. On n'use pas si vite du coeur d'une rose. La plupart du temps. Mais il savait jouer avec elle comme un enfant avec des légos. Il démontait tout ensuite. Les caresses de l'enfant à sa mère qui dort sont autrement plus douces, et la rendent encore plus vivante, tellement vivante, tellement morte. Elles sont belles, les mortes endormies. Les mères mortes endormies. Les femmes qui n'ont jamais été mères sont des femmes à moitié pensent-ils. Rose ne comprenait pas pourquoi autant de haine pour ces femmes précisément.
Comme lorsqu'ils évoquent la castration pour déconner, même en étant sérieux, on trouve toujours le moyen de se voir en superbe victime. Souvent, j'étais la douce victime systématique d'un homme, qui est mort, en été. Les corps pourrissent plus vite à cause de la chaleur. C'est un moyen de garder un sceptre. Le phallus, le pouvoir. A une forme de champignon malade. Qui tombent, tous ils tombent à la guerre, et invitent leurs soeurs, et tous voudraient voir attendre quelque part, au fond du néant de l'Amérique, une femme avec des enfants, une femme amoureuse de son homme, amoureuse de son pays. L'homme amoureux de sa patrie. De son sexe, aussi.
Ce ne sera pas quelque chose de violent, quelque chose de difficile, de volontairement, de violemment réel pour autant. Ce ne sera pas la vie, ce ne sera pas comme ça. Ils attendent quand même, on rentre dans le jardin comme on rentre chez soi, le jardin n'est pas la chambre à coucher, la chambre à coucher n'est pas le confessionnal. Pourtant.
Pour autant, ils veulent la mort, Rose le savait très bien. Leur façon de siffler dans des cornemuses. Leur façon de ne rien porter sous le kilt. Et l'amour lui a fait tilt. Souvent, ça fait tilt, lorsque l'amour vient frapper à vos yeux, il y a comme un éclaircissement, et une confusion à la fois. On voit mieux le côté doux de la vie, et ce n'est pas forcément agréable, c'est une violence, une violence de plus, une autre violence de plus à supporter. Mais attention : toutes proportions gardées. C'est parfois un sentiment désagréable qui rend triste, triste de ressentir quelque chose de positif, tant de choses dans l'univers proviennent d'une énergie noire et sont désagréables. Tant de choses qu'il faut peut-être en profiter. Rose n'aimait pas les louanges des grands prêtres de la lumière qui parlaient (de l') d'amour. Souvent les politiques veulent de l'amour. Mais ils n'ont d'amour que pour les choses en déconstruction et leurs idées sont des chiffres et des statistiques.
Etre soi et ne pas être soi, être quelqu'un d'autre était finalement le rêve de cet homme. Un rêve qui était plutôt commun. C'était une fuite en avant improbable, une déconstruction de soi inacceptable, mais il fallait ne pas brusquer les choses. On ne change pas les autres, on leur donne, on leur prend, on leur reprend, on leur ferme la porte, on les écoute, on les mange, on les tue, on les nique, on les caresse, on les vole, on les entend, on les connaît, on les croit, on leur dit : comment ça va, aujourd'hui, mon petit papa.
Mais les pères meurent et les pères de l'humanité sont déjà tous morts. Ils attendant dans l'ombre que ça explose, pour qu'elle parte ailleurs avec un autre, je sens la peur monter, de l'Amérique monte une crainte terrible, je la sens, je la ressens. Il trouve très impressionnant le trou béant laissé par...Tu sais. Rose n'aimait pas cet homme, en fin de compte. Rose avait une idée très particulière de l'amour et elle se sentait coupable, coupable d'aller avec un homme qu'elle n'aimait pas, mais qui l'honorait physiquement comme on ne l'avait jamais honorée. L'homme et ses poils en jungle, sur le torse, à l'époque les hommes n'avaient pas envie de tailler dans ce gazon-là.
Les roses ouvertes ont été offertes une journée d'après-midi d'hiver, au milieu de la neige, et elle était tellement émue qu'il a été obligé de lui tendre un mouchoir, mais comme elle était trop émue, elle a été obligée de lui demander d'essuyer de lui-même les larmes qui coulaient. Aux bords des yeux, comme au bord du vide.
Je te laisse partir, des morceaux de nous flotteront sur l'Atlantique. Je nous laisse partir, finalement, se faire des vacances, je prends des vacances de toi. Mais tu me manques tellement, tu me manques d'autant plus que j'ai mal, sexuellement je n'ai envie que de toi, je pourrais, tout de suite, si je voulais, en allant sur le câble, téléphoner à des putes, des putains, des sales merdes de putes, pour les faire venir dans mon loft, et les payer au téléphone, qu'elles me taillent au moins une pipe ou deux, des pompiers plus ou moins élaborés, avec plus ou moins de douceur, je ne tiens pas la tête des femmes à genoux, tu peux en témoigner, j'ai plus de respect que ça pour les femmes, j'adore les femmes, la femme en générale, mais je déteste me faire castrer, et ça me fait rire. Toi aussi, tant mieux. Des morceaux de nous flottent sur l'Atlantique, je pourrais faire venir des salopes ici, salopes professionnelles. Mais non. Par égard. Pour Nous.
Il fait de l'aérophagie. Il a des gazs. Il a mal au ventre, il prend des cachets. Il mange leur merde là-bas en Amérique, cuisines du monde. Il respire leur pollution. Ils polluent deux fois plus qu'en France, il m'a dit. Il m'a dit : c'est Paris, en pire. C'est l'horreur en mieux. En somme.
La caresse sur la joue. Le fusil pas loin dans l'entrée, la caresse sur le torse. La main dans les cheveux. Ils aiment aussi, surtout ceux qui ont des cheveux. J'ai déjà baisé avec des hommes qui se recoiffaient d'une main en baisant, le summum de l'épouvante. Je riais aux éclats, oubliant le plaisir. Totalement. Rose ne se souvenait pas d'avoir été impolie avec cet homme. Elle l'aimait c'était son désespoir. C'était sa perdition. Certains amours ne servent qu'à se perdre. Les fantasmes sont meilleurs. Ils protègent et n'impliquent pas. Une seule chose : utiles, mais ils ne cachent pas une certaine forme de lâcheté, poussés à l 'extrême.
L'anglais avait une femme, comme presque tous les hommes en son temps. Ils se devaient d'avoir la femme, l'enfant et la maîtresse. Marie, Jésus et Madeleine. Sinon ça n'allait pas dans leur vie. Certains hommes pensaient que pour être vraiment un homme, il fallait avoir des aventures. Et tuer des inconnus à la guerre, pourquoi pas, aussi.
Mon ami David était très violent avec les militaires. Pourtant il aimait les hommes. Nous marchions dans une galerie marchande et un stand de l'armée de terre était là. Ils proposaient aux jeunes des documentations sur tous les métiers de l'armée de terre. Un militaire arrive en face de nous : bonjour. Un mec qui avait déjà dû violer trente-six femmes et tuer des centaines de bébés, au regard. Délit de sale gueule. Le mec tend ses brochures et David les prend en les lui tendant à son tour : gardez, s'il vous plaît, votre merde de brochure sur votre merde de métier, et veuillez vous poussez de notre chemin, vous polluez notre espace vital. Je n'oublierai jamais le regard noir du militaire, qui sans mot dire, juste en regardant, a repris sa brochure puis s'est rapproché de son stand calmement. Je me suis retournée, vingt mètres après, il continuait de nous regarder partir. Beaucoup de gens se sont arrêtés et ont remporté avec eux des brochures, beaucoup de jeunes en fait.
Forcément, ce qui reste de nous flotte quelque part sur l'Atlantique. Ce quelque chose est souillé, par ton esprit très noir, de femme en fait. Il ne supporterait que le découpage de seins sinon, ça se faisait parfois aussi au vingtième siècle. Il ne faut pas avoir peur, mon amour, de ce qui flotte entre nous dans une mare au Diable. Il y a des sourires, les yeux fermés, ou les yeux baissés, qui en disent long. Des malices de femme. Forcément, ça flotte. Le clown de Stephen King qui ne faisait vraiment pas peur, "it", le savait ça, qu'on flotte. Et on flotte en bas. Nous. Pareil pour l'Atlantique. On ne se refait pas. Lorsqu'elle a quitté l'anglais, sur un grand boulevard parisien, Rose pleurait, en se retournant. Et lui avait l'air dépité, son visage défait, en morceaux. Les morceaux flottent. Et nous flottons. New York c'est du solide, ça ne risque pas de s'écrouler un jour. C'est pour ça qu'il ne faut pas avoir peur et qu'il faut préparer son potassium à temps. Garde donc une seringue dans ta poche au cas où, c'est bien plus efficace qu'une arme à feu, qu'un coup de couteau, qu'un coup de ciseaux, qu'une tronçonneuse, qu'un sabre (comme le schizophrène qui avait décapité deux infirmières, j'avais fait un billet ridicule là-dessus à l'époque, j'ai honte). Je sais c'est immoral. Mais tu l'es plus que moi. L'amour moi je l'ai fait en enfer. Et mon sexe est encore chaud quand je le passe à l'eau glacé le matin pour le laver, de toutes les choses de nymphomane-salope-quiméritedemourircommeunesalechienne que je me suis faite toute seule la nuit. C'est un fait. Mon oncle avait plus de gueule de toi, et même en bas, il avait plus de gueule que toi, c'était plus un mec que toi, donc oui je suis née en enfer pour y faire l'amour plus d'une fois. L'Atlantique, on s'y fait comme on peut, ça sépare les gens. Comme Rose, les véritables raisons je ne les connais pas. Pourquoi elle a quitté l'anglais sur ce boulevard. D'ailleurs, ça ne me regarde pas je pense. Avec ou sans raisons, les sentiments de Rose n'étaient qu'à elle. Comme les miens sont à moi, et comme on se débrouille comme on peut avec les seringues dans la poche, au cas où le croque-mitaine sortirait de sa tombe. Tel un zombie de George Romero.

Oui.

Rose avait ses raisons.

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