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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
17 octobre 2007

L'Expérience du Souci

emma_kunz

"Le monde est un morceau
qui se joue d'abord
dans notre esprit.
Essaie d'entre-tisser le son
le plus clair à l'image sonore."

Emma Kunz

Nous ne sommes pas du papier millimétré. Non je ne veux pas voir ça. Pas besoin d'aller chercher Jeanne d'Arc, car ce n'était qu'une pucelle, terrible insulte. C'était plus une folle qu'une visionnaire. Qu'une véritable visionnaire mais je ne suis pas historienne, je ne suis pas Jean-Marie Le Pen. Lui, sa Jeanne of Arc, il ne faudrait pas la sous-estimer. Les voix, les damnés, les combats, la folie, il ne faudrait pas jeter tout cela aux orties. On va gerber. On va déposer une gerbe à son pied. Mais ce n'est pas de ça que je parle. Nous ne sommes pas du papier millimétré. Non, je ne veux pas. Accepter. J'ai dit que je le faisais naturellement, mais je crois que j'ai menti sans m'en rendre compte : bien sûr que non. Pauline. Je n'accepte pas. Pas du tout. C'est bien mon drame. C'est bien ma loi. C'est bien ton désespoir, que je ressens, c'est bien ta joie que je prends : je ne suis pas une éponge. Tu sais, les éponges, dans la mer. Elles vivent. Elles ne sont pas que des vibrations, ce n'est pas une pendule (un pendule en fait, beau lapsus) qui va me dicter ma loi. Mon devoir. Mon drame. Nous ne sommes pas des pierres précieuses. Nous ne sommes pas des couleurs qui vibrent. Non, je ne sais pas voir ça. C'est marrant, je croyais vraiment que c'était à cause du diamant. Alors que c'était juste un rêve. Un rêve de plus, qui me parle encore une fois des planches pourries qui flottent dans mon océan personnel, intime, intérieur. Nous avons chacun le nôtre, pas de panique. Nous ne sommes pas des éponges au fond de la mer. Denis ne s'est pas réveillé en sueurs en criant : où allons-nous, qui sommes-nous, que faisons-nous. Non. C'est moi, dans mon rêve. Je croyais vraiment que le diamant m'avait brûlé les yeux. Mais sous l'eau, ça m'a fait du bien. On ne va pas être une gentille fille, on ne va pas Go to the Chapel Henry, comme le dit la chanson, on ne va nulle part. Juste dans le noir, lorsque tu fermes les yeux et que tu attends l'image qu'elle t'arrive, à ton réveil tu as le sentiment que rien n'est venu, pourtant c'est venu. Moi je n'ai pas ce sentiment, j'ai assisté à ce qui est venu, aussitôt mes paupières fermées. Cet homme à côté de moi, il faudrait que je l'analyse avec un pendule, peut-être que des fleurs sortiraient de son visage, de son thorax, comme dans ce film hideux et lamentable, The Fountain. Peut-être que de son cou sortirait des fleurs, comme un collier, l'expérience du souci. Il ne faut pas forcer les choses, il paraît. Dominique je te l'ai dit : ta vie est à moitié ratée, voire complètement, parce que tu donnes du pouvoir aux autres, à ces autres qui sont prêts à te dominer, tu leur donnes la carte qui permet de te dominer, tout de suite ils ne se gênent pas, ils la fourrent dans la fente. Directement. Nous ne sommes pas Dominique, tant mieux tous. Nous ne sommes pas en danger, donc. Nous ne sommes pas vieilles, ridées. Denis ne s'est pas réveillé en sueurs, en hurlant : qui suis-je, où vais-je ? Non. C'est moi, dans mon rêve, j'ai pensé que c'était possible. J'ai pensé que j'étais possible.

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Tu sais, pas besoin de faire appel à Jeanne d'Arc. Je ne suis pas historienne, Jean-Marie Le Pen. Je n'ai pas mis le "ni", parce que je trouvais que ça rendait la phrase plus jolie. Plus bancale, mais plus jolie. Je fais attention, encore aujourd'hui, à faire de jolies phrases, à faire de jolies choses. Pour lui, dans sa vie, les jolies choses ne vibrent pas. L'argent ne vibre pas, le coeur si mais pas comme on croit, la chaleur ne vibre pas, son sexe n'a pas de tête, car la tête est à l'intérieur, son sexe tremble, parce qu'il donne. Il pardonne mon regard de côté, mes sourcils qui se froncent, ce n'est pas un fantôme qui me fait du mal, tout le monde n'a pas la chance d'avoir des planètes intérieures propres.


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Ce sont tous les sourires cyniques, même si avant j'avais un jardin. Ce jardin n'est pas très entretenu par le couple qui habite ma maison actuellement. J'aimerais qu'ils ressentent ce que j'ai pu ressentir avant eux entre ces murs qui sont les leurs désormais, j'aimerais qu'ils ressentent le froid d'enfer que j'ai vécu, que j'ai laissé, en partie, derrière moi, parce que je suis un homme-soleil. Un homme du soleil, qui fait des triangles géants dans le sable, le sable c'est peut-être du papier millimétré, mais nous, j'en doute. Quoique. Cet homme dort bien toute la nuit, sur ses deux oreilles, il a de l'amour en lui, et il a une société dans laquelle il va, dans laquelle il se sent à l'aise, malgré toutes les injustices. Les français n'aiment pas les injustices, mais les désirent aussi, l'être humain étant ainsi fait. Sauf pour les vertueux, en tous genre, le sport favori d'une grande caste, je ne suis pas historienne, ni d'ailleurs Jean-Marie Le Pen, pas la peine de parler de Jeanne d'Arc, il y a eu des gens encore plus intéressants après qui disaient voir des choses encore plus démoniaques, encore plus grandes que le Diable lui-même. Son ami à Jeanne était un croque-mitaine, petites mains, petits pieds, petits gants, petits botillons. Mon Art s'adresse au XXIe Siècle. Et le tiens Angeline ? A quel siècle s'adresse-t-il ? A quelle époque ton art s'adresse-t-il ? Mon Art s'adresse au XXIe Siècle. J'aimerais tellement pouvoir être la mère d'une image comme celle-là, mais le temps viendra où on comprendra mes images. Emma, ne craint rien, car moi aussi je le pense. Je le pense très fortement, Denis ne se réveille pas n'importe comment, n'importe quand. Dans la nuit. Il dort bien, généralement. S'étale même souvent. Il aime bien, des fois, se coller contre mon dos, là où je ne peux pas le repousser. J'imagine que Lucia aimait également le réconfort que lui procurait son mari autrefois. Mais comme l'hiver vient, comme l'enfant chasse tous les desseins, le réconfort s'en est allé, quelque part, pour toujours. Pour toujours, ou alors pour les êtres du papier millimétré, on ne sait jamais, ils pourraient revenir, se révolter. Mes images ne sont pas aussi fortes que les tiennes Emma. Il paraît. Je n'entends que le téléphone me parler, pas le cosmos. Pas encore. J'ai beaucoup de retard, même si tu es morte, ou alors tu as beaucoup d'avance. Sur les gens qui vibrent, il dort tranquillement, il rêve sans même savoir pourquoi. Et moi ça me tue. Cela me tue. De voir les gens rêver la nuit alors qu'ils ne savent même pas pourquoi. Je ne voudrais pas le repousser, l'expérience du souci en plus, par dessus ça, et même s'il m'appelle Jeanne d'Arc pour rire, même si c'était qu'une fois et que je l'ai obligé à s'excuser, Jeanne d'Arc n'étant pas un exemple dans bien des domaines, la salope (la pucelle), je sais que tous les sourires cyniques sont issus de corps qui sont assis dans des canapés luxueux, tu sais, dans le hall de cet hôtel lumineux comme un diamant brut traversé par un soleil blanc. Et ces corps sont quelque part dans tes dessins, dans tes figures géométriques si on regarde bien. Denis ne savait pas très bien, ce dossier, s'il l'avait fait hier, ou s'il restait à faire. Il n'était pas très certain, je l'ai feuilleté une fois, mais je n'ai rien traité avec Machin et Bidule. Truc Muche voudrait d'autres négociations, Emma, ils négocient, mais Machin ne voulait pas : perte de temps, perte d'argent perte de tout. On se perd soi-même dans un océan de planches pourries, tout le monde n'a pas la chance d'avoir une planète sale à l'intérieur.

Si on regarde bien, ces corps aux sourires cyniques sont dans tes dessins, dans tes figures géométriques, dans ton art. J'ai bien regardé, et je les y vois. Comme toi, même si j'ai beaucoup de retard, je suis persuadée qu'il arrivera le temps où on comprendra nos images.

   

ABSTRACTION

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Commentaires
J
c'est fascinant ce qu'on peut comprendre dans tant de cahos, c'est fascinant la vie qu'il en ressort de tant de noirceur.<br /> <br /> ...même si cela ne concrétise rien..malmène tout ce qui a pu etre dit ou fait...n'a aucune cohesion et pourtant forme un ensemble presque parfait, éclaire et assombrit à la fois...<br /> <br /> ...même.
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