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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
18 octobre 2007

La Vie de Cocagne

trumpetnighteffect

Demain j'ai rendez-vous avec le barbu. Le gentil barbu, qui écoute, qui est attentif. Il n'a pas les yeux qui se ferment lentement, il n'a pas l'air de s'en foutre. De s'en battre les castagnètes. Mais il a beau être gentil, je me sens anxieuse. Ce n'est pas une nouveauté, la nouveauté c'est que je le cache maintenant. Je montre le contraire. Le contraire de ce que je ressens. Je me sens obligée. Les scrupules en disent long. Mais je n'ai pas envie d'y aller. J'ai envie d'arrêter. Denis pense que c'est une bonne chose pour moi d'y aller, si ça peut m'aider. Au début, il me disait avec un ton : "si tu as besoin de ça, alors là..." Alors là ça voulait dire, son ton, que j'étais bien arrangée, bien fichue. Mais je lui ai répondu : enfin tu sais avec qui tu as voulu vivre, avec moi. Donc il faut tout prendre ou tout rejeter. Tu prends tout, et tu donnes ton opinion sans cynisme, ou alors, si le cynisme, ou l'ironie te tente, tu balances tout et tu fermes ta gueule. Ta putain de grande gueule Denis, quand tu t'y mets. Lorsqu'ils s'y mettent, les hommes aboient fort, face aux femmes, qui crient, qui sont méchantes. Je suis certaine que ce n'est pas plus rose chez les sodomites, même hétérosexuels. C'est comme Bertrand Cantat, je ne peux pas le juger, Denis me dit qu'il ne supporte pas de le voir à la télé, ni même sur le net, sa photo le dérange, Bertrand Cantat dégoûte Denis. Je lui ai demandé : pourquoi, ce qu'il a fait, cette chose terrible ? Oui, et puis je n'aimais pas le type avant ça. Sa musique. Il y a quelque chose de malsain chez lui, tu sais, quelqu'un qui se montrerait positivement, alors qu'il n'y aurait que du négatif en lui. Mais moi, je ne peux pas parler de ça. Je veux dire : la photo de Bertrand Cantat me dérange, mais pas pour les mêmes raisons. Mon acte n'est pas le même, rien ne ressemble moins à un meurtre qu'un autre meurtre. Ce sont des naissances, toutes les naissances se ressemblent, mais toutes sont uniques en fait. Je ne sais pas si vous me suivez là-dessus. Moi je me suis. Quand je regarde cet homme, que je n'ai jamais vraiment apprécié en tant qu'artiste, n'aimant pas la fumette à la base, je me mets à sa place, forcément, je me projette. J'ai l'impression de comprendre ce qu'il peut ressentir, ou alors rien, j'ai le sentiment de comprendre le remord, qui a dû cheminer, l'habiter, même si ce n'est pas comparable. Je ne devrais pas parler de tout ça. Au barbu, surtout pas. C'est son métier d'être une oreille, d'être des oreilles en face de nos voix. On ne trouve pas d'oreilles attentives dans la vie. On trouve des oreilles qui sont proches de vous, qui vous aiment, et qui vous pénétrent, et viens mon amour, viens je t'emmène, viens dans mes bras dans mon auto, à Paris je te ferai l'amour sous la Tour Eiffel, viens mon amour. Tu devrais venir avec moi. Amour de ma vie, soleil des mes jours. Etc. Mais ces oreilles ne sont pas faites pour tout comprendre, les oreilles ont des cerveaux spéciaux, la plupart des oreilles sont en caoutchoux, comme les hommes aboient vite lorsqu'il s'y mettent. Bertrand Cantat a reçu des menaces de mort pour ce qu'il a fait, moi j'ai reçu des félicitations, pour avoir raconté ici ce que j'ai fait. Sous couvert de littérature pour ne pas tomber sur quelqu'un des RG, parce que je ne peux pas tout remettre en perspective. Vous le savez. Vous, les vieux de la veille. J'ai reçu des félicitations, des pitiés mais surtout des félicitations, comme ça, anonymes pour certaines, d'autres plus courageuses, pour ce que j'avais fait, d'autres m'ont dit que ce n'était pas vrai, que c'était inventé, pour s'assurer, que je leur dirais oui, pour les soulager, et puis ils sont passé à leur vie, cinq minutes ici c'est comme cinq ans dans une prison dans le fond du trou du cul de la Russie. Si ça se trouve, ceux qui me félicitaient avaient déjà mis chez eux des petites croix pour tuer le Christ, pour se souvenir, pour le souvenir de lui, il voulait qu'on se souvienne de lui, comme on travaille à la sueur de notre front, comme punition. Mais le souvenir était l'espoir, les félicitations me déstabilisaient. Pourquoi ? Parce que j'attendais une punition. Je tendais le bâton, pour qu'on me frappe avec, ou à la limite, qu'on me batte à mort. Que la mort soit symbolique, mais la mort symbolise bien la transformation, pour qui a pu tutoyer l'univers. C'était un jeune homme, pas mal en plus, enfin qui me ramenait quelques années en arrière, il me faisait penser à quelqu'un, quelqu'un avec qui ç'avait été torride, torride, torride, trois fois torride, c'est plus explicite. Quelqu'un que j'adorais détester, la lumière vient surtout actuellement pour aveugler. Je me tue à vous le dire. Ce jeune homme donc, qui faisait de la musique, ressemblait à quelqu'un d'autre, avec qui j'avais beaucoup fait l'amour (plutôt baisé). Il m'avait dit que j'avais bien fait, sous couvert de littérature ici, pour ne pas impliquer les RG ou les moeurs, qui eux aussi me féliciteraient sous le manteau (je le sais très bien, ça). J'ai dit au barbu : Antonio est mort en 2002. Mais je n'ai pas dit comment. J'ai dit pourquoi, pas comment. Je n'ai pas dit par qui, j'ai dit la nature. Il arrive tous les jours, à la minute où je vous parle, qu'un mari, qu'un père, qu'un oncle, qu'un fils, décède, là. Il arrive qu'ils partent dans des conditions tragiques : accident cérébrale, accident de la route, accident de la vie, suicide, ou simple crise cardiaque. Les crises cardiaques sont provoquées par tout un tas de choses, il y a des facteurs. Ce jeune homme, pas mal en plus, dans le Nord, il m'avait raconté son histoire, on lui avait tiré dans la tête, son père. Je crois. Moi aussi je n'ai pas vouloir le croire, comme on a pas voulu me croire, qu'est-ce qui me prouve, quel est l'intérêt de parler de ça au Barbu. Juridiquement, il peut faire quoi ? Et humainement ? Contre moi ? Si je raconte ? Il faut bien que j'en parle à quelqu'un d'autre que vous. Vous avez des oreilles en caoutchoux, ce n'est pas trop chou, et même vos sexes sont en plastique. Je ne déconne pas. J'ai besoin de le dire à beaucoup beaucoup de monde, surtout ceux qui veulent pas entendre ça, ce n'est que ça qui pousse à écrire : surtout ceux qui ne veulent pas lire ça. Surtout ceux là, moi je m'occupe de ceux là. Ce jeune homme me félicitait, j'ai bien fait, il a dit. Ce salaud. Antonio était certes un être humain inférieur, mais quand même, inférieur parce qu'il me faisait du mal, ou alors j'étais son égal, ce qui fait de moi aussi une personne inférieure. Cela existe. Je vois Denis, il regarde Nicolas et Cécilia en photo, ça lui fait peur. Avec humour, je lui ai dit, alors qu'il s'amusait avec moi dans le canapé, en me chatouillant comme un enfant, en me caressant lentement, je lui ai dit : tu vois, tu vois, où ça mène le mariage, tu vois, tu vois ce que tu évites. Il a paru terrifié mais il a rit quand même, pour ne pas me faire de peine. C'est un véritable gentleman. J'ai envie de lui dire, à beaucoup à beaucoup de monde. Surtout à ceux qui ne s'intéressent pas à la mort. A la mort violente, sa mort a été très douce. Je peux vous le certifier. Je n'ai pas été cruelle. J'ai été précise. J'ai été concise. J'ai été directe. Il n'a pas souffert. Il n'y a pas eu de souffrance. Voilà ce que je devrais dire au barbu, qui lui, a des oreilles cartilagineuse. Voilà ce que je devrais faire. Vous aussi vous vous dites : je devrais faire ça mais... Vous ne le faites pas. Jamais. Le barbu c'est son métier d'être une oreille attentive, sur tous les fronts, sinon moi j'arrête d'écrire et je parle directement dans un dictaphone. Il entendrait peut-être, peut-être que je sous-estime cet homme, son métier, le lien qu'il a avec moi, en peu de temps. Comme mon précédent médecin, qui était juif, je l'adorais, il me manque parfois, j'ai envie de lui téléphoner pour lui dire : vous vous rendez compte, on voit Bertrand Cantat à la télévision, mais moi, j'ai fait la même chose et je suis restée libre, lui il a passé plusieurs années en prison. Quatre ans pour un meurtre, huit moins quatre, quatre ans pour avoir tué quelqu'un, dix ans, dix, ou six de plus, dix ans, allez, cinq de plus, quinze ans, quinze ans, ce n'est pas deux cent années de prison pour certains tueurs aux Etats-Unis. C'est marrant aussi, Paul disait : mais la Trintignant (il refaisait l'histoire, le petit Paulo Marco), elle se droguait, elle se bourrait, et ça part comme ça... C'était de sa faute, apparemment, d'être morte. C'était un suicide si je comprends Paul. Elle a pris le poing de Bertrand Cantat pour se fracasser la face, j'ai vu des suicides plus simples et plus efficaces, plus directs. Je me demande ce qu'il est devenu, ce jeune homme, qui me racontait ses horreurs, parce que je lui avais raconté les miennes. On se raconte nos horreurs sur internet et nos horreurs sont parfois des erreurs. Mais pas la mienne, pour certains. Félicitations. Tu as bien fait, là où j 'aurais aimé qu'on me dise : tu as le droit d'être en liberté, même si la loi dit le contraire, tu as le droit, moi je te dis que tu as le droit d'être libre, mais ce que tu as fait n'était pas la bonne solution, la preuve, une partie entière de ton coeur reste gangrénée, pour toujours, alors certes l'amour te fait taire, la bête qui sommeille en toi. Mais pour combien de temps ? Tu es toute jeune. Tu l'aimes, mais pour combien de temps ? Combien de temps encore à respirer, avant de passer sous respirateur, et de mourir dans un accident de la route ? Ou alors de suicide ? J'aurais aimé qu'on me dise ça. Malheureusement, c'est moi-même qui  me le dit, là. Donc l'effet est nul. Je crois que les meurtriers ont bien plus peur de mourir que les gens heureux qui font des enfants et qui jouissent de concert dans un monde fleuri, une sorte de Paris tout rose et tout bonbon, je vois la vie en rose, je ne vois pas la vie en gris, ne disait pas la chanson. D'ailleurs, Denis est très déçu de l'appartement qu'il a visité non loin du Marais : c'était dans un état pitoyable et il n'aimait pas les dispositions des pièces. Incroyable, c'est le quatrième appartement qu'il visite, j'étais soulagée, soulagée. Je lui lisais la lettre de refus que j'avais reçue concernant mon manuscrit, mais j'étais soulagée, soulagée, il me disait : il faut que tu envoies à d'autres éditeurs maintenant, encore. Encore, insister. Il faudrait que tu demandes à ton... Mais non, je n'ai rien à lui demander. J'ai jeté la lettre à la poubelle, j'étais toute légère, je souriais, je lui ai dit : prends ton temps, pour un autre appartement. Dans cette Capitale de France. Tu peux prendre le temps, de bien réfléchir, de bien choisir. Il a dit : ce n'est que partie remise, ne sois pas inquiète chérie, je trouverai. Chérie. Et là, j'ai ressenti une sorte de peur, de celle que j'avais quand c'était un nouveau client qui entrait. Que je n'avais jamais eu. Mon expérience n'était pas tout à fait comme celle de Nelly Arcan, qui est une bien belle poupée, comme celle de mon amie de l'époque, Marjorie, je ne sais pas ce qu'elle est devenue, elle est peut-être morte. Dans un rêve, elle m'apparaissait, me disait qu'elle était morte d'un cancer qui était passé de son foie aux os. Dans le rêve elle me parlait du cancer de ma mère qui s'était également généralisé, d'une manière fulgurante que même moi je ne l'ai pas venu venir. Entre l'annonce de son cancer et son décès, il s'est passé peu de temps, mon ex-mari est mort, à cause de son alcool et ça m'a fait bizarre, l'année dernière. Tout ça. Je crois que je devrais aussi en parler au barbu, j'effleure juste, lorsque ce sont des sujets qui me concernent, il me l'a dit. Je ne vais pas en profondeur, lorsqu'il s'agit de moi. Je me crois si forte, il me croit si forte, mais maintenant, j'en suis réduite, à ce que je disais au début, à sourire lorsque j'ai envie de faire une mine triste, parce que mon langage a toujours la tristesse, mais la tristesse dans la joie. Je n'ai pas la tristesse sinistre, c'est une grande qualité m'a dit un Artiste Peintre, perdu dans Paris, un quelconque enculé, entouré d'enculés qui ne l'étaient pas qu'au sens littéral. Désolée pour la vulgarité, je sais, mais c'est aussi pour les RG, et les Moeurs, qui me féliciteraient, s'ils savaient que j'avais dessoudé un homme, un homme qui faisait partie de ma famille, parce que j'avais la rancune tenace (j'ai failli écrire : parce que j'avais la tenace rancune). J'en suis certaine. Mais la vulgarité, c'est pour faire style littérature décadente actuelle d'aujourd'hui, qui exaspère beaucoup beaucoup beaucoup. Demain je peux lui dire, au barbu, il m'écouterait, il est jeune, ce n'est pas un vieux camembert pas frais, il est chaleureux, il a l'oeil vif.. Je pourrais lui dire : je devrais vous parler de petits riens, mais je crois que ça ne suffirait pas à me rendre... - A vous rendre quoi ?

Ce que j'ai perdu.

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Commentaires
J
des histoires de dingues qui frolent la normalité. Mais la normalité est souvent tellement ecoeurante...dilemme.<br /> je prefère les dingues (en sachant qu'il existe une echelle de valeur chez les dingues aussi)( sic)
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