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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
17 janvier 2005

Dîner avec les ténèbres

Je devais m'occuper de la chambre d'une dame qui venait de mourir. Le corps avait été emporté. On avait demandé aux patients d'entrer dans la salle des repas. On a fermé les portes. On les a enfermé en fait. Les pompiers sont venus ainsi que la gendarmerie. Elle était morte tôt le matin, après le petit déjeuner, elle était retournée faire une sieste. Elle se levait tôt d'habitude. Elle avait vécu soixante-dix-sept ans. Bernard était un maniaque sexuel, un retardé qui me faisait peur. Mais je ne lui montrais jamais ma peur pourtant je reste persuadée qu'il était capable de la sentir. Et cela me faisait mal. Un jour il m'a coincée contre un mur, en m'appuyant dans le creux de l'épaule, là ou ça fait mal. Il voulait voir si j'allais appeler à l'aide, les gros mecs avec de gros bras qui plaquent par terre n'importe qui. Mais je n'ai pas appelé à l'aide. Chaque matin, Rose faisait dans ses couches mais souvent comme son alzheimer était grave, elle déchirait ses couches pour jouer avec ses excréments, en mettre un peu partout. Les autres patients, surtout les jeunes en cure d'alcool ou en dépression ou même les schizophrènes râlaient. Pourtant Rose était aimée. Un jour j'accompagnais une jeune fille mal en point, introvertie au maximum. Dehors dans le parc. Bernard se branlait allongé dans l'herbe. Il faisait exprès je le savais bien. Je me suis mise alors à côté de la jeune fille pour qu'elle ne puisse pas trop voir ce qu'il était en train de faire. Il était rustre et bête. Et violent. Il avait frappé sa mère très violemment, de sorte qu'il était là depuis très longtemps. Sa soeur, Edith était là aussi, elle avait beaucoup d'humour, pas dans le même service bien sûr. Elle disait : je suis venue pour le soutenir. Une famille disloquée par des histoires d'inceste et de souffrance comme on en voit peu dans la vraie vie. Jean-Etienne était là pour dépression, un gars chauve d'une trentaine d'années. Il parlait sans cesse de sa mère. Dès qu'il reprenait son traitement, les choses s'arrangeaient. Sinon passent et repassent les gamines qui veulent tomber enceinte et qui disent attendre des fées dans leur ventre, les mystiques barbus, souvent ceux-là ils croient que je suis le Diable d'ailleurs, ah, les alcooliques pas prêts pour se soigner, des hétérosexuels, des homosexuels, des zoophiles qui se vantent, la nuit l'été les orages avec votre collègue qui vous drague, limite qui ne vous propose pas des rapports sexuels mais vous lui faites comprendre que vous êtes lesbienne ce qui fait naître de sacrées rumeurs que vous ne pouvez plus arrêter ensuite. Mais vos collègues vous draguent encore, encore plus parce qu'ils ont un rêve : se taper une lesbienne. Réussir à la faire tourner dans le bon vent, n'est-ce pas. Romain avait brûlé une croix sur son front car il adorait un Dieu satanique, Henri s'était lascéré le bras une centaine de fois avec un couteau, Linda marchait en bavant parce qu'elle fumait trop de shit et parlait sans cesse de Dieu, mes collègues qui prennent le café tranquillement dans la salle de repos.

J'aimais laver les corps des vieux, Rose faisait tout ce que je disais. Devant derrière, elle me souriait, elle me disait : tu fais ça bien toi. Elle était drôle dans sa décrépitude. David était un homo refoulé et schizophrène. Il parlait à la télévision à Jean-Pierre Foucault de Qui veut gagner des millions ? Ce truc imbécile, il lui disait : bon allez lâche-moi. Il croyait que cet animateur lui parlait directement. Il avait peint sur son corps des signes sataniques effrayants un soir. Tous ont quelque chose de plus fort que n'importe qui de "normal". Quelque chose qu'on ne peut avoir que lorsqu'on est entre deux mondes. Un tel se jette d'une fenêtre et n'a rien. Un tel essaie de se pendre. Lui là il a perdu sa femme, son frère et son fils le même soir dans un accident de voiture, il a survécu, il boîte alors qu'on sait qu'il ne boîte pas normalement. Il a une poche urinaire, ses reins sont fichus, il veut mourir, il est moqueur, il est cynique, il est méchant, il essaie de nous taper. Un jour je vais le voir, je lui parle, comme ça, de tout et de rien, il me dit : c'est toi la plus gentille. Et je lui dis en riant : c'est vrai les autres ne valent pas un clou. Et je tiens à dire que : c'est vrai les autres ne valent pas une humanité. Même si...Ou alors les costauds foncent pour arrêter un caïd qui veut boxer un débile handicapé mental qui touche les parties des patients. Un débile mental qui pour se défendre dit : moi je suis cotorep, handicapé à cent pour cent hé. Qui pue en plus. Il pue. On joue aux échecs, on va les emmener aux ateliers peintures, là ils pleurent, là ils ne pleurent pas, les assistés et tout ça. J'ai mal au coeur ils disent, j'ai mal en moi, je suis en feu en moi, j'ai envie de hurler, le mal qu'on m'a fait, le sang qu'elle a versé, la douleur des choses que j'ai vu, mourir un samedi après-midi alors qu'il fait beau, etc. Ils écrivent des poèmes qui ne sont pas appliqués mais qui sont. Ils ont du mal d'être dans le monde comme tout le monde, sauf qu'eux sont plus honnêtes avec eux-mêmes. Ils ne sont pas prêts pour la plupart à vendre leur mère pour se faire bien voir. Et ils ont des rapports sexuels, des frustrations, des envies, des désirs dans leurs délires. Dans leurs chambres alors que les rapports sexuels sont interdits. Rose est partie dans une maison adaptée à son cas. Elle m'a demandée : tu viendras me voir ? Je lui ai dit : non je ne pourrai pas mais ce que j'ai vécu avec vous Rose je ne pourrai jamais l'oublier. Alors après il faut s'habituer à les voir partir, des fois on s'attache. On apprend à ne pas s'attacher pourtant. Des fois on a mal. Comme Jean-Luc cet infirmier qui a dit à Filipe lorsqu'il est parti : qu'il l'avait marqué. Voilà.

Pendant ce temps, dîner avec les ténèbres, avec des amis d'amis de Marie, où les conversations ne servaient à rien, où les célibataires devraient le rester à vie, où on regarde par la fenêtre ou sa montre, j'ai eu des centaines de dîner avec les ténèbres où rien ne ressortait et où je pensais à eux, ces gens de la France basse vous savez comme dit notre Premier Ministre,enfin le vôtre, ce gnome du Seigneur des Anneaux, non, il dit la France d'en bas avec "la vista" comme en sport, il était ridicule dès la première semaine. Les syndicalistes font des choses pour les gens, Marie le sait, pourtant ils ne valent pas mieux humainement que les politiques. Comme dit Patrick Bateman, intérieurement, ça apporte peu.

Angéline.

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Commentaires
F
arf désolée , il va falloir que je revienne une autre fois ou alors que je change de yeux <br /> <br /> j'arrive pas à te lire <br /> <br /> bisous alors ...erf
S
...
G
Tu évolues dans un monde chaotique Angeline, univers à part que ce milieu des esprits perdus, du moins pour tous ceux qui comme moi pensent être "normaux"... Cela démontre un sacré courage et un équilibre certain de ta part... lol Tu nous narres des instants où la réalité est tout autre que ce que l'on voit habituellement, ce qui rend dérisoire les actions de certains que tu décris avec justesse....
M
Patrick Bateman et/ou l'insoutenable légerté de l'être, finalement, Bateman, il ne devait pas être si heureux que ça, pas plus d'ailleurs que ceux du dîner ou l'on regarde l'heure, sans doute...
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