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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
18 janvier 2005

Senza Musica

Je suis fatiguée, je n'aime pas travailler la nuit. D'autant plus que je n'ai pas pu aller en comptabilité pour aller écrire dans mes pages, car : Hervé était avec moi et on a eu une entrée en pleine nuit. Comme dans un rêve. Du service du rez-de-chaussée deux infirmiers débiles ont monté un homme exténué. Ils le tenaient par les bras. Il venait d'arriver en ambulance. J'ai vu son visage, un visage de quasimodo, effrayant. On l'a installé dans une chambre ou dormait déjà un autre patient qui s'est réveillé et qui a piqué une crise : non je veux pas de ce mec avec moi dans ma chambre. J'en veux pas. L'homme ne disait rien il s'est juste recroquevillé dans son lit. Parfois, on sent qu'on risque sa vie. Ce n'est pas tangible comme à la guerre mais ce qui s'est passé à Pau a jeté un sacré froid un peu partout d'après mes collègues. A cause de cet événement, on se retrouve à trois parfois la nuit. On peut faire des parties carrées. Non je plaisante. Cependant il y a des rumeurs. Annie et le Dr X (je ne veux pas me faire virer, je sais d'habitude je donne les vrais prénoms mais les noms là je suis lâche) auraient baisé ensemble dans un débarras d'après Muriel qui le rapporte de Francine. Les filles si vous vous reconnaissez, je sais que vous me prenez pour une lesbienne dégénérée un peu secouée, je sais que vous ne m'aimez pas. Ce n'est pas grave je vais vous dire pourquoi, le poing levé en l'air comme Maurice Pialat à Cannes et tant pis pour le ridicule : je ne vous aime pas non plus. Mais d'après Jean-Yves (ça m'épuise les noms composés qui commencent par Jean, Jean-Paul, Jean-Marc, ce que c'est laid j'ignore pourquoi), le Dr X tire comme un lapin tout ce qui bouge. Son interne ressemble à une follasse d'après le pourtant gentil Patrick. Il vient de divorcer, il nous disait : ma femme est folle. Alors que personne n'ose lui dire que question folie, il n'est pas le dernier. Cependant je ne traite plus personne de fou, car lorsqu'on voit les conséquences de la vraie folie, on se dit qu'on préférait mourir du sida ou d'un cancer. Au moins la douleur est physique, localisable. On nage en eaux connues plus ou moins. Patrick n'a jamais essayé avec moi, je crois qu'il n'aime pas les brunettes fragiles comme Angéline. La nuit dernière, j'ai donc essayé avec Hervé de calmer notre homme qui ne voulait pas de quasimodo dans sa chambre avec lui. C'est un gros qui est venu faire une cure, l'alcool. Un gros dégueulasse. Il riait dans son canapé en se moquant des infirmières, avec un autre gars amusé mais gêné, ils disaient : elle est bonne celle-là, beau cul beaux seins. Enfin bref, pathétique. Hervé restait en arrière en disant une phrase ici et là dans le couloir. Je lui disais : vous allez réveiller tout le monde, venez en discuter dans le bureau alors. Je suis très conciliante et neuf fois sur dix, ça marche. Je crois que c'est pour ça qu'ils ne m'ont pas viré. Je ne voulais pas qu'il réveille les autres. On ne sait jamais. Non non je veux pas aller dans ton bureau. Alors j'ai dû appeler les gros bras discrètement, Hervé me l'avait demandé, d'un simple regard. Alors trois gorilles infirmiers ou non sont arrivés. J'avais l'impression d'être une souris à côté de Tyrannosaures qui jouaient les costauds. L'un d'eux a une queue de cheval lisse. Il m'a fait un sourire charmeur et un clin d'oeil : les trucs qu'il ne faut pas me faire pour m'avoir dans sa poche. Hervé était le quatrième monsieur muscles mais c'était rien comparé aux autres. Ils friment dans ces moments-là. Des fois, ils dépassent leur fonction, font du zèle, en faisant volontairement mal là où ils ne devraient pas faire. Les gens du système médical, sauf moi, aiment leur petit pouvoir sur les gens. Parfois ça tourne à l'hystérie comparable à celle qu'ont les politiques. Le non-sens absolu. Les psy surtout, les gens ne sont pas tous aptes à comprendre leur dossier médical. Bien sûr, c'est vrai. Mais le but premier c'est s'intéresser aux autres. Les parties de moi, qui sont à moi qui sont chez moi et qui pourtant sont très différentes, qui n'ont rien à voir avec ma partie principale, mon corps à moi. Mes idées. Mes sentiments. Seule la sexualité est la même partout et encore. Je voulais aider les parties de moi extérieures à moi qui n'allaient pas bien aussi peut-être pour trouver la clé. La clé. Dans le système médical, un tel discours est courant, je suis l'emblème du manque d'ambition totale. Terrible. Alors le type en voyant les gros bras, Hervé me murmurant d'aller préparer une seringue à tranquilité comme ils disent ici en plaisantant, s'est calmé, a accepté quasimodo dans sa chambre qui grommelait dans son coin, sans bouger, en étant mal. A tout moment, vous pouvez vous retrouvez avec un couteau dans le ventre, dans la gorge, on peut vous décapiter très facilement avec un peu de haine, on peut vous étrangler, vous pendre. Vous accuser de sévices sexuels. Une patiente avant que j'arrive il y a quelques mois a accusé un infirmier d'attouchements sexuels. Le type s'est pendu dans la semaine des accusations. Ses collègues ont mis une stèle devant le pavillon. Et sur laquelle on peut lire : a toi qui a subi les pires accusations injustes on ne demandait qu'une chose : que tu restes avec nous pour les renvoyer à ce qu'elles appartiennent : au mensonge et à la calomnie. Il paraît qu'il était marié et une étudiante en médecine m'a dit : en fait, c'était un chaud lapin aussi. Encore un. Finalement, il n'y a pas eu injection après une conversation dans le bureau où les gorilles ont fait peur au patient. Moi, j'ai vidé la seringue dans l'évier, en notant sur la feuille la quantité et ce que je venais de faire. C'était comme ça. Parfois on ne vide pas, parfois on garde, la chef nous dit : bon allez, ne videz pas, gaspillage. Mais c'est rare lorsqu'on n'utilise pas nos produits de tranquilité. De tranquilité pour nous. C'est comme ça. Oui.

Donc après une nuit comme ça, je suis rentrée fatiguée, et encore c'était calme. Mais supporter les histoires d'Hervé, de pas trouver l'amour, de pas chercher ça, sa famille, de ne pas voir-ci, avec les patients qui viennent vous voir, pendant que vous vous allongez cinq minutes, ou alors comme cette autre nuit où on a eu une minie émeute et qu'on a été obligé de s'enfermer dans le bureau, qu'il y a eu des vitres brisées, des blessés légers, ou alors quand une femme de cinquante ans, bipolaire m'a foutu une gifle monumentale qui lui a valu d'être calmée à son tour par seringue car elle voulait s'en prendre à moi je ressemblais trop à sa fille, ou quand heureusement ils s'en prennent à d'autres infirmières car je suis peut-être l'une des plus belles mais pas la plus cochonne. C'est un mythe, sur ce qu'elle porte en dessous de sa blouse. La plupart ne porte rien du tout comme moi. C'est pour une raison précise : ça fait partie de la thérapie des patients avec un problème sexuel. Dans un autre pavillon, des plus surveillés, nous avons des prédateurs, pas des vélociraptors ni même des Aliens, je ne suis pas Sigourney Weaver qui traite la Reine Alien de sale pute, mais des violeurs d'enfants multi-récidivistes, des violeurs de femmes aux pathologies des plus graves. Qui vous dévisagent et qui voient que vous aussi, vous avez été pénétrée de force un jour. Qui ont un visage trop gentil pour être honnête ou alors au contraire méchant. Qui ne supportent pas les garçons aux cheveux longs. Qui disent : le monde devient mauvais, les garçons ont les cheveux longs, les filles les cheveux courts. Ils disent ça vociférants comme des démons. Ce ne sont pas des démons pourtant. C'est le tort qu'on a, de croire que ceux qui ont décapité les deux infirmières à Pau sont des démons. Ils courent toujours à l'heure actuelle, peut-être pensent-ils recommencer. Vous les connaissez peut-être. Mais ils ne sont pas des surhommes. Ce sont des êtres humains. Alors après des nuits au pays d'Alice, dans ses ténèbres, ce qu'il faut faire, rentrer, se servir un verre de vin, vous qui n'en buvez jamais, et avec l'homme qui vous attendait chez vous, à moitié nu, endormi, vous parlez dans le salon, et clac, il prend une photo de vous compromettante, le verre à la main et le sourire aux lèvres.

Angéline.

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Commentaires
S
Ma mère est infirmière<br /> Ma mère a été victime d'inceste de 3 à 12ans<br /> Ma mère s'est marié avec mon père qui l'a trompée et rise pour une conne, jusqu'à aller raconter l'histoire d'inceste à la mère de ma mère qui ne l'a jamais cru...<br /> Ma mère s'est faite abandonnée par sa mère<br /> Ma mère est passé d'un divorce à une tentaive de suicide à la dépression à l'alcoolisme à la folie.<br /> Ma mère est restée infirmière dans un service de fous, et est restée fragile, seule et mortifiée.<br /> Ma mère m'a écoeurée de la vie.<br /> Ma mère s'est faite abandonnée par sa fille.<br /> Je déclare solennellement que même si le milieu médical m'a toujours attiré comme un aimant, je jure ne jamais y attérir.Ni en tant que patiente, ni en tant que salarié.<br /> Angéline, change de métier, tu en crèveras.
A
Vous faire devenir moi l'espace de quelques lignes pour que vous vous demandiez si vous êtes vraiment vous après. Oui à cent pour cent.
A
Dis comme ça, je trouve ça plus vrai. Dis comme ça.
S
Ce n'est pas parce que tu n'as pas une intention de manipulation que tu ne manipule pas. Ce n'est pas parce que tu ne parle pas pour convaincre que tu ne peux jamais convaincre. Et moi qui suis très influençable, je te dis : Tes textes sont convaincants. C'est de la manipulation. Tu manipule ton lecteur pour en faire toi quelques minutes...<br /> Main ne t'inquiète pas. Si j'ai dit ça, c'est un peu parce que je le pense mais surtout parce que je voulais voir comment tu réagirais...
F
oui y' a un truc tripod d'écrit sur tes textes <br /> mais pas d'images<br /> <br /> je les trouve bien ces notes<br /> <br /> et c'est un métier que j'aurai bien aimé faire <br /> <br /> je ne vois pas de manipulations , juste un recit<br /> <br /> m'enfin bon chacun voit ce qu'il veut ...<br /> <br /> bisous toi
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