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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
28 décembre 2004

Le Grand Dragon et la Femme revêtue de Soleil

Promis, je vais être plus claire là. C'est une promesse que je vous fais. Dans le train qui m'emmenait à Paris il y avait un jeune homme avec un ordinateur portable qui faisait les bruits joyeux qu'on connaît, Windows, fenêtres et tout et tout. Il me lançait des regards, à l'époque j'étais seule, complètement seule mais j'étais bien seule même si je rêvais d'être encore mieux avec quelqu'un. Comme tout le monde. J'avais pris un disque de Janis Joplin et mon bloc à dessin, qui me sert de base pour mes peintures. Je dessinais une nouvelle version de Blake, Le Grand Dragon et la Femme revêtue de Soleil, qui chez moi allait s'intituler Le Grand Dragon et la Femme revêtue de Sommeil. Il y avait une femme qui dormait contre la vitre, la tête relevée et la bouche ouverte. Elle était moche mais j'appréciais de voir quelqu'un montrer ce qu'elle était vraiment en public. C'était tout l'intérêt que je voulais réussir à poursuivre. Car si on se confronte qu'aux choses qu'on aime, je ne vois pas l'utilité. Bref, ce type me regardait et me faisait des clins d'oeil de temps à autre. Et bien que j'étais seule, j'étais également timide et puis il dégageait quelque chose de sexuel, vous savez, pas dans le bon sens, un truc malsain et sexuel, où la mort se lie au sexe ou le sang répandu se mélange au sperme foutu. C'était ça qu'il dégageait. Il avait la tête d'un type qui s'il n'avait pas déjà tué des femmes, n'avait aucune raison de ne pas commencer par moi. J'ai eu peur. J'ai souvent peur de ce genre d'hommes, viril et qui entre vous et lui mettent leur virilité bien en place pour que vous ne pouviez pas la rater. Les prés, les vaches, les murs, tout défilait dehors et parfois si je ne me concentre pas assez, j'ai envie de vomir en train. En voiture aussi. Avant quand j'étais plus jeune ça ne me faisait pas ça. Pourtant je suis pas vieille. Passons. Et donc à part deux-trois clins d'oeil, il m'a demandé ensuite ce que je dessinais. J'ai dit William Blake. J'aime Blake. Il y avait un bébé qui pleurait dans les bras de sa mère noire et de son père à côté qui était blanc. Je suppose qu'il s'agissait de ses parents. Ils étaient beaux et ce bébé qui pleurait ça ne me faisait rien à l'époque, aujourd'hui dès que j'en vois un, à ma grande honte il faut l'avouer, j'ai envie de pleurer comme une madeleine de Proust. Ce jeune homme a réussi à mettre de la douceur dans son bloc de testostérone, qui lui avait donné de larges épaules, une mâchoire carrée, un pénis développé (je parle toujours de ça et si ça vous plaît pas, je le regrette). Des mains qui pouvaient faire l'ombre de mon auriculaire. Impressionnant. Il m'a dit que j'avais du talent mais qu'en apprenant les techniques de base, je pouvais encore aller plus loin. Quand le train s'est arrêté. On nous a dit qu'il y avait un problème, qu'un objet suspect avait été trouvé sur la voie. Plus tard, j'apprendrai que cet objet est le corps d'un homme, qui s'était suicidé, il avait eu la tête coupée et les jambes arrachées. Pourtant quand on lui a roulé dessus personne n'a rien senti. La femme bouche ouverte continuait de ronfler. Et le bébé de pleurer. Personne n'a rien senti. Personne. Moi je parlais avec ce type, ce gorille, pourtant jeune, il avait 27 ans, il s'appelait Paul et il voulait me laisser son adresse e-mail et de poste. J'ai accepté, je lui ai donné une fausse adresse moi. Il a pris mon numéro de téléphone. Il m'a dit que j'étais jolie. J'ai baissé les yeux, j'aurais aimé être lesbienne à cet instant précis. Ce n'est pas une plaisanterie. Toute ma journée, j'ai pensé au Grand Dragon et à la Femme et à cet homme que le train avait tué. J'étais dedans. Je me sentais coupable. Alors j'ai fait ce que font toutes les minettes tristes dans mon genre : j'ai couru à un café, j'ai payé très cher mon café-crème, et j'ai dessiné sur la table comme j'ai pu, j'ai pleuré en même temps. Les gens assis me voyaient pleurer et évitaient mon regard. A Paris ça ne vaut pas mieux qu'ailleurs. Vive la France. J'ai pleuré parce que je me sentais coupable de la mort de ce type que je ne connaissais pas avant. C'était comme ça. Pas coupable non, ce n'était pas le terme, mais il était mort comme un chien lui aussi. Je n'étais pas triste pour lui, mais pour moi. Difficile de gagner la guerre avec un égo éléphantesque. Parce qu'il était passé sous mes pieds, dans l'enfer mécanique. Sur les rails. Et voilà. Alors j'ai dessiné ce type en morceaux, et le serveur est venu me parler. ça va mademoiselle ? Non j'ai dit. Vous voulez un autre café, un verre d'eau, je vous offre tout, mais pas tout le bar quand même. C'est vrai que là j'ai pas pu résister. Ce vieux serveur type Italien m'a bien fait rire et mon coeur en est sorti soulagé. GARMONBOZIA.

Angéline

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Commentaires
A
l'important c'est pas la rose, c'est de survivre, oui.
C
L'homme, un loup pour l'homme? Il ne se serait donc pas tellement trompé.<br /> Une nouvelle fois, te lire Angeline, me donne bcp de plaisir.<br /> Je crois que dans la vie, on est tout seul et on est entourés de requins. L'important, pour survivre, c'est de se créer un chez soi confortable et de s'entourer de gens légers, pas trop névrosés enfin juste un peu.<br /> Bizzz<br /> clé
N
j'aime toujours enormement te lire<br /> je viens de te rajouter dans les liens de mon blog principal :)<br /> A bientot de te lire<br /> <br /> <br /> ps : j'ai hate d entendre le prochain Tori :)
T
Ce soir, des amis sont venus manger chez moi, une amie m'a raconté qu'elle avait pris un train et que ce train avait écrasé un homme ( qui voulait se suicider) et cette amie lorsque le train s'est arrêté, a entendu une femme maugréer : " Il pouvait pas se suicider ailleurs celui-là, je vais être en retard moi..."<br /> <br /> Ce n'est certainement pas le pire, les êtres humains sont des inhumains potentiels en puissance. Heureusement qu'il y a les anges!<br /> <br /> Pensée douce à toi Angeline
A
les gens sont trop cons peut-être parce qu'ils avaient été à la place de celui ou celle qui pleure en public, ils auraient secrètement aimé qu'un inconnu vienne le réconforter.
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