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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
1 janvier 2005

Les désirs du Grand Canyon

Elle regardait la jetée. Elle pensait à lui. Aux cerises dans le verre de vin. Dans la bouteille il y en avait plein. Elle avait bu une gorgée. Elle est allée fêter la nouvelle année avec lui. Et ses amis homosexuels. Ils ont bu, ils ont rigolé, à minuit, ils ont hurlé : BONNE ANNEE. Elle a fait pareil même si elle ne souhaitait bonne année à personne au fond d'elle. Elle trouve ça bête de fêter la bonne année. Car : pour la plupart, c'est l'année de leur disparition. Vous allez dire qu'elle parle toujours de la mort : vous aurez raison. Ce n'est pas une chose rare vous savez. C'est courant. Elle a vu ça souvent dans son travail. Bon d'accord c'était des vieux, mais une fois elle a bien vu un toxico raide mort dans sa chambre parce qu'il avait fait une overdose de médicaments volés. Tu parles là d'une bonne année. Il avait les veines des tempes qui ressortaient, toutes bleues, il était effrayant, mort. Pourtant, elle souhaite la bonne à tout le monde parce qu'elle sait que ses sentiments en elle n'ont pas à transpirer leurs jugements sur les autres. Dans le grand jeu de massacre social. Alors combien de temps on va encore tenir dans le mensonge ? Quant elle pense que certains c'est toute leur vie qu'ils passent à remplir de mensonges, à mentir. De n'importe quelle manière que ce soit. Elle a mal. Oui elle a mal. Elle a eu mal souvent. Elle a mal au ventre, son ventre improductif. La honte pour une femme qui n'est pas lesbienne. Et même si elle était lesbienne, elle aurait le droit d'avoir un enfant et de l'élever, je suis désolée. Elle hésite souvent. Elle est chiante, elle se trouve chiante. Des fois, l'homme avec qui elle est elle le regarde comme s'il était la première merveille du monde. Des fois, c'était comme s'il était la dernière merde par terre qu'elle vient d'éviter. Mais elle sait d'où ça lui vient cette ambivalence, cette incohérence : ça lui vient du passé. Du foin. Elle est trop pudique, elle ne veut pas vous froisser. Elle ne veut pas paraître lourde, elle ne veut pas vous faire de mal. Elle ne veut pas que ce qu'elle écrit soit inconfortable et que vous ayez des difficultées à lire. Elle veut que vous preniez un peu de plaisir. Elle souriait en voyant deux hommes s'embrasser à pleine bouche, ils s'aimaient c'était certain. Elle trouvait ça beau deux personnes qui s'aimaient d'une manière aussi entière. Jean aussi lui a roulé un patin doux à minuit une. Elle n'a pas eu le temps. De se rendre compte. Chaque couple devait le faire devant les yeux des autres. Tout le monde ensuite applaudissait. Ils ont applaudi. Elle était gênée, elle est souvent gênée d'un rien. Bah. Mais elle aimait être en vie, même si elle était à table avec des menteurs, des amnésiques, des hypocrites, des sincères sociaux, elle aimait être là. Elle avait toujours été dans une bulle jusqu'à ce que : t'es comme les autres, ma petite. Les cuisiniers cherchaient souvent à la faire taire. Par exemple, elle se souvient là tout de suite d'un gros porc doublé d'un pauvre type qui lui a dit : dans ton blog, de l'érotisme de première communiante. Le con. Il n'a pas vu que ce n'était pas un blog pornographique. Il a dit érotique mais elle n'était pas dupe. Un con de plus qui a été recentré. Elle aime les hommes, ce qu'elle n'aime pas c'est les hommes cons. Du crépuscule à l'aube, elle a dansé avec Jean, elle a mangé des crevettes alors que dans le Lévitique c'est interdit, comme les rapports entre hommes, c'est abominable aux yeux de Dieu. Elle s'en foutait, elle aimait les crevettes, alors elle en mangeait. ça se mange sans faim. Et puis quant on sait combien de gens meurent de faim sur cette planète, elle trouve indécent elle qui a la chance de pouvoir manger plus qu'à sa faim tous les jours de rejeter ce qu'on lui met dans des assiettes. Elle mangeait avec délices des crevettes roses, le crépuscule partait, la nuit revenait. Elle a dansé avec Jean, avec d'autres pédés, Antoine, Maxime, Maxence, Patrick, Xavier, il était mignon celui-là. Il riait, il lui disait dans l'oreille : Jean il a changé avec toi, en bien, on ne le reconnaît plus. Elle était flattée, mais prudente, car on connaît le monde, un coup il vous embrasse, un autre il vous arrache la joue. Elle a longtemps été d'une naïveté crasse. Elle a même dansé avec des filles lesbiennes, avec Cécile qui à une autre soirée lui avait fait des misères pourtant. Cécile la regardait toujours comme si elle voulait toucher avec ses doigts son sexe. Elle avait peur, elle voudrait vous le dire. C'est une froussarde mais courageuse quand même. Au bout d'un moment, Cécile lui a dit : t'es vraiment très mignonne, avec ma chérie ça ne va plus. Il faudrait qu'on se téléphone. Oui oui. Gloups. Elle avait trouvé un moyen la dernière fois, parce qu'ils buvaient trop, elle était allée jeter discrète comme une souris ses verres dans les pots de fleurs de l'entrée du restaurant-bar. Là, elle a fait pareil, sauf qu'une fois Jean l'a vu. Il a éclaté de rire, elle était gênée, de passer pour la gamine qu'elle n'est pas. Elle est intrépide. Elle a fini par sucer un bâton de réglisse alors que plusieurs vomissaient leurs tripes, leurs crevettes. Jean n'a pas vomi. Ils s'étaient mis d'accord : lui il buvait, elle elle conduisait. Alors elle a conduit sa voiture à lui qu'elle n'aime pas, un gros machin allemand, BMWXYZ. Elle n'aime pas, on risque la mort à chaque seconde avec ce genre de voiture, elle préfère son C3. La nuit était belle mais elle commençait, ils vomissaient. Dans un coin, un couple gay ivre se déshabillait. Elle a couru pour les en empêcher. Elle qui a beaucoup pleuré cette année a beaucoup ri à la fin. Enfin, elle a revu des images dans sa tête, qui s'invitent sans prévenir : elle a revu son mari lui mettre un coup dans l'estomac,  lui cracher au visage, elle l'a revu dans la voiture et elle elle s'est revue cracher du sang et cracher une dent à cause d'un coup. Le dentiste lui ai dit tout de suite : vous avez reçu un coup violent non ? Comment c'est arrivé ? Elle a dit : je suis tombée...dans les escaliers de mon immeuble. Elle ne vivait pas dans un immeuble, et le type ne l'a pas crue. Elle a été aux toilettes pour chialer. Comme une chialeuse. Mais elle sait que c'est un passage obligé, elle s'en fout ce qu'on pense d'elle, qu'elle chiale ou pas. Elle a lavé son visage. Elle a fait comme si. Elle a levé les pouces en l'air : elle a fait un sourire : elle s'est dit : je pourrai pleurer encore quand je serai morte ? Elle a vu les secrets de son oncle. A votre place je ne lui jeterais pas la première pierre : à sa place vous en feriez autant. Si vous aviez vu les mêmes choses. Vous seriez quelqu'un qui essaie d'aimer ce qui l'a dégoûte. Et sur la plage, il lui avait offert une glace américaine. Enorme, délicieuse, elle avait pris à la pistache. Elle s'en souvient. Elle s'en souvient aussi qu'à cette époque-là, elle l'aimait plus. Beaucoup plus. Elle voulait lui dire : je t'aime moins mais toujours beaucoup. Mais ça ne se dit pas non plus ça. Alors quoi ? Dans l'aube naissante rentrer, un jour banal, pincer les tétons qui durcissent malgré la fatigue, transpirer, être sale, pleurer de trop jouir, des vagues énormes qui détruisent tout sur leurs passages, des kilomètres de morts partout, et lui qui sort d'elle enfin, qui sème un peu de graine à même la peau du ventre. En général, il ne prévient pas. Elle vous le dit jamais ça d'habitude, elle n'est pas franche ou alors hypocrite elle l'ignore. Ce n'est pas très poétique l'amour en tant que tel finalement. C'est même pas poétique du tout. Sur cette plage beaucoup de vent. Elle lui a dit : je t'aime. Ensuite dormir. Ils ont vu un grisard mort. Et au loin le coucher de soleil magnifique. Il lui a dit : ça va aller nous deux ensemble. Je le crois. Bien sûr. Beaucoup sur la terre ont fait l'amour. Elle rêve souvent qu'elle est dans les rivières du Grand Canyon et qu'elle est habillée d'une robe blanche. Elle est pieds nus et un serpent rouge avance vers elle. Le soleil est beau. Elle voit au dessus une pluie de ce qui ressemble à des plumes. Et des colombes qui tombent, mortes. Elle a peur. Des fois elle se réveille. Sinon : les colombes se transforment en crapauds. Elle marche, elle voit une piscine et des gens qui s'excusent auprès d'elle, des gens qui lui ont fait du mal. Elle leur dit : c'est trop tard maintenant. Elle se réveille, dehors il fait jour. Mais elle dort et contre son dos, lui. Elle a peur d'ouvrir les volets. Ou de prendre la bague qu'il lui a offerte récemment.

Angéline

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Commentaires
S
J'ai envie de te faire un sourire fatigué. Lire ce texte est virtuellement fatiguant. Virtuellement parce qu'il me transporte viirtuellement peut-être, mais aussi parce que je mens. Je ne suis pas fatigué, je voudrais croire que je suis fatigué, et que je suis un ppoète rêveur. C'est faux. Je suis un jeune con qui m'apitoie sur mon sort.<br /> <br /> Pour information, c'est un mensonge. Je dis ça parce que j'aimerais le penser et aussi parce que j'aimerais qu'on me dise que je me trompe.<br /> D'ailleurs dire ça n'est pas totalement vrai.
F
beaucoup de vérités dans ce texte <br /> j'allais presque dire beaucoup trop , non pas qu'il y en a trop , mais que beaucoup me sont familières <br /> elle a des raisonnements communs avec moi<br /> bref<br /> <br /> quoi dire d'autre ...<br /> <br /> rien
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