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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
30 janvier 2008

1000 raisons de mourir

candycigaretteSallyMann

1000 raisons.

Mille façons d'embrasser. Mille façons de te regarder me tendre ton argent. Tes doigts tendres. Mille justifications quant à ma probable instabilité mentale. On sait tous quel mal on sert. Sans parler de la tienne, bien pratique. Mille petites filles de cartons qui dansent sur ma table de chevet. Elles étaient ravies autrefois de faire ce ballet, nous allions tous à la piscine, toi aussi Denis, toi aussi Jérôme. Marc. Nous étions à la piscine, tu ne valais rien c'est ce que tu croyais du moins, mille façons de lever la jambe, mille gestes à faire pour donner la grâce des sirènes. Pour les rendre jalouses. Dans la piscine. Mille façons d'avaler ta salive chaude. Quand tu sais la chauffer correctement. Tu gardes longtemps dans la bouche, c'est simple. Même si c'est infesté de bactéries, la bouche humaine, l'amour humain. Tous les hommes ne savent pas très bien le faire, garder dans la bouche. Beaucoup de ceux qui lisent ceci ont une salive froide. Ils ont peur, c'est dégoûtant : en effet le monde est une horreur, souffrances de passages, terribles ou sans incidence, le drap te signale qu'il est l'heure de s'allonger pour te reposer un peu. Dans mes bras. (Quand tu liras ceci). Ce sont mille larmes qui n'ont pu être pleurées. Mais pas vraiment, on n'écrit pas ce qui ne peut pas s'écrire. Personne n'est assez fou pour tenter de le faire. Mille façons de te dire que tu es mon amour, que tu es horrible, que tu es violent, que ta valeur mérite bien qu'on se déplace pour autant que je sache. Pour cette dernière justement, qui vibre de toute sa vie. Pour un dernier voyage, pour un dernier trip. Mille façons de t'embrasser lorsque tu dors. Lorsque je sens ton corps, si près du mien, dans la nuit, parce qu'il n'y a rien d'autre que la nuit à revendre. A vendre. Rien d'autre que la nuit, et ton corps, pour se rassurer, tomber de haut d'être vivants (pour l'instant). Je suis tellement humaine que je pourrais te revendre la nuit. Mais j'ai précédemment parlé du réconfort, dans tes bras, après un cauchemar, finalement tu me sers à quelque chose, finalement, aimer, c'est juste y accorder de l'importance, avoir la distance, c'est en quelque sorte avoir le Diable dans son âme, et je n'ai pas que lui dans la mienne en particulier, j'ai aussi le feu. Mais j'attends que tu passes le temps qui te reste, dans ce voyage-ci, au dessus de l'Atlantique, car il te reste ce temps physique, mesurable. Invariable. Passe-le dans les avions, tu peux bien le faire. Je t'ai attendu et j'ai été courageuse. La petite fille n'a pas trop pleuré la perte de son père. Et ce même si les avions s'écrasent parfois en mer. Tout dépend de la taille des océans, surtout la nuit. C'est très important de le dire à la petite fille qui cherche une cachette, l'océan est vaste, et inhabité par les hommes, encore vierge de toutes souillures donc, tu peux aller t'y cacher, l'ogre ne t'y retrouvera pas. Il ne pourra jamais t'y retrouver. Les sirènes ne te jalousent peut-être déjà plus. Il est peut-être l'heure de pardonner, qu'est-ce que tu en penses ? Les ogres ne savent pas nager, ce sont des géants, et les géants ne savent pas nager. Ils couleraient à pic. Comme des pierres immenses, des blocs de rochers arrachés au flanc de la falaise. Ce sont mille raisons de te sourire que je pourrais écrire, ou quand tu me tendais la main, pour que je la saisisse (et il n'y avait pas d'argent à prendre dedans cette fois), histoire de me dire : tu as besoin qu'on te tende la main. Oui, à moi-même, histoire de me le faire remarquer : tu avais besoin de me tendre la main, et j'avais besoin qu'on me tende la main. C'est fait. C'était vrai. Tu le fais tous les jours, tu crois que c'est pour toi que tu le fais, ou pour nous, ce genre de considérations sirupeuses, de gamines de lycée. Mais avec la vraie sexualité, sans le frère de sa mère, qui respire la putréfaction de la mort, c'est évident qu'on ne peut plus faire semblant d'être un homme, ou d'être une femme. D'ailleurs je ne fais plus semblant. J'ai dépassé le stade de la voix du vent, j'en suis bien heureuse et tu en restes bien content. D'être quelqu'un de vivant. Avec toi mon amour, toutes les morts sont petites. Tu n'es pas là mais je t'ai toujours dans la poitrine, ne faire qu'un c'est certainement le ressentir ainsi, ceux qui savent de quoi je suis en train de parler peuvent en témoigner. Car je n'ai été témoin de rien de tout, je n'aurais jamais dû, d'ailleurs, prétendre le contraire autrefois. Mais autrefois je le croyais. Je croyais que la Lune n'avait qu'une face, et que les cartes de sa face cachée, sublime, étaient sorties du néant. (Tu me tends encore la main, je dois caresser ta paume ?) J'ai pensé : peut-être que toi tu pourrais le savoir, me le dire. (L'embrasser ?). Ce en quoi tu croyais, concernant la face cachée de la Lune, qui n'est pas tout à fait prête encore, pas tout à fait, pour nous dire adieu. Mais eux, ils me parlaient de merveilles et de monstres, ils me tendaient de l'argent, et c'était parfois du liquide en plus à cacher dans mon corsage, cliché dantesque, pourquoi ? Parce qu'ils savaient que je devais liquider l'affaire. Liquider une certaine laideur collective qui était en eux, depuis fort longtemps. Tous les messies ont pour mission de liquider, en théorie, toutes les laideurs collectives. Mais ce n'était pas ça la laideur, tu t'es trompé, tu es tombé dans la boue brûlante, la face la première. Et pas ta face cachée, comme celle de la Lune. Mille excuses que j'aurais à te faire me poussent à te parler ainsi, c'est la fièvre qui parle et qui écrit, et aussi le désarroi, car tu ne sais pas, et tu ne veux pas savoir. Je sais pourquoi. Comme je te comprends !

La douceur de ta paume, l'embrasser, c'était un souvenir de valeur (ça ne l'est plus ?). Pourquoi ? (Dans un silence de mort, réfléchir à la question). Il y avait mille contrefaçons à démasquer, mille grappes de raisins à ramasser, et un assassin à arrêter. Il fallait qu'il ait une vie de folle, pas de vierge, pleine de sagesse. Pas le sang, pas la comtesse, non surtout pas elle. Mille maisons dans ce village d'Espagne ont été brûlées par les soldats. Je ne sais pas si c'est encore arrivé. Mais plus particulièrement à la frontière Espagnole et Portugaise. Certains disent que c'est l'Espagne, d'autres que c'est déjà le Portugal. Ils n'arrivent pas à se mettre d'accord. Quand tu me pénètres, nous arrivons à nous mettre d'accord, tu rentres dans mes terres, et je te dis : viens. Je t'accueille. Je te donne à manger, tu as chaud sous mes couvertures. Il fait noir aux pieds mais peu importe. Je prends ton visage comme on tiens les vases, ou les petits des animaux, comme on prend des melons ou des pastèques. Dans le coin frais tu trouveras sûrement là un endroit où ils resteront stables un moment avant qu'on ne les ouvre. Et qu'on ne les mange. J'ai fait un trou dans les barbelés, pour que tu puisses passer. Les frontières n'ont aucun but dans l'immédiat, elles retiennent ce qui va craquer, ce qui va exploser, ce qui va t'exploser au visage, un jour. Et j'espère voir ce jour arriver prochainement. Peut-être avec un peu de chance, avant ton dernier sommeil, tu auras la chance de voir ce jour arriver toi aussi. T'exploser au visage. Aux mille visages qu'on aimerait tenir entre nos mains, parce que ce monde a de si belles formes à offrir. Mille voix à travers ton regard suffisent à me faire taire, malheureusement pas par écrit, mille de tes silences avec le même effet que mille de tes cris me transportent, tu es haut dans le ciel et tu essaies de me tirer de là. Ton souffle vaut bien mille passages de n'importe quelle comète assez lâche pour ne pas s'arrêter un instant dans son voyage sans fin. Tu me soulèves. Tu me soulèves car je suis une feuille et tu es le vent d'hiver. J'étais perdue et à terre. Et tu m'envoies en l'air, dans le ciel. Un souffle te suffit. Peu d'effort pour un maximum de résultats. Loin du sol des hommes je peux m'élever oui. Dans un de tes souffles, oui. Je m'en souviens, c'est arrivé, c'est déjà arrivé. Ceci est déjà arrivé. Tu n'inventes pas la pluie, ni le beau temps, tu n'inventes pas la modestie de mes éternels boniments. Le fer et le feu, l'angoisse à travers le jeu, je sais voir au-delà de ton apparence. Et je crois bien que j'en éprouve une grande fierté, mon coeur est trop grand pour tous les hommes qui se reconnaissent en toi. J'ai mis longtemps avant d'y parvenir, au moins mille jours. Et une fois que ces mille jours se sont trouvés derrière moi, j'ai pensé qu'ils ne signifiaient rien. Absolument rien. Mille fois j'ai vu à travers ton regard quelque chose qui ressemblait bien à la lumière, pas à celle que je cherchais, mais à celle qui m'était destinée. J'ai appris, avec l'ogre dans les ténèbres à manger correctement, et j'ai compris pourquoi la chair des enfants, en particulier celle des nouveaux-nés, était spéciale. J'ai perdu ton premier petit châton, c'était dans le sang. C'était dans le sang que je l'ai perdu. Le soleil se couchait pendant que je le perdais, je m'en souviens comme si ça s'était produit hier, et ça tournait toujours, et ça n'a pas arrêté, à ma grande stupéfaction, de tourner. Pourtant, d'autres choses bien plus terribles n'avaient jamais pu affecter le rythme. J'ai toujours pensé que tu étais là pour me dire pourquoi. Pourquoi ça n'avait pas arrêté de tourner, y compris pour moi. Surtout pour moi. Moi seule.

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C'était comme te dire : au secours, je ne veux pas recommencer. Mais sans cesse je recommençais tout de même. J'étouffais en moi-même, comme quoi il existe des êtres qui s'étouffent en eux-mêmes, s'absorbent dans ce qu'ils ont de plus sombre. Peut-être le plus courageux. C'est certainement leur unique moyen de parler aux étoiles, autrement occupées à leurs histoires. Ce n'était pas trois petits pas, juste pour faire joli, ce n'était pas du tout pour l'anecdote. Tu me connais tellement bien, je n'ai jamais parlé pour ne rien dire. Ou si tu le crois, c'est que tu n'as jamais su lire, et pas que moi, tout. Je me souviens de ce jour de promenade, dans le chemin il y avait quelque chose dans ces buissons, en face de nous. Le soleil avait beau se coucher, nous n'avions pas envie de dormir. La chaleur, la fournaise, son regard, son barbecue, et l'odeur des saucisses. Le soleil n'était pas bleu. J'ai eu mon temps de peur et de paranoïa, pour le bleu. Le soleil ne se couchait pas dans le bleu. Nos ancêtres savent bien pourquoi. Lui, il te prenait un melon comme ça, contre lui et tranchait dedans, à vif, il l'avait ouvert au préalable bien sûr. Eventrait littéralement le fruit, le jus coulait lentement. Il avait fait son service militaire, ça, les ambassadeurs de la lumière ne comprendront jamais. Les entrailles du melon, il les jetait. Il me regardait en essuyant sa lame. Mais j'ai oublié tous les garçons de l'époque pour lui, j'ai oublié jusqu'à mon prénom. J'ai oublié jusqu'à mon corps, jusqu'à mon identité, pour ça, pour lui. Pour ça. Pour cet homme. Pour son regard. On oublie, c'est la mémoire qui manque, et souvent Denis trouve que j'oublie pas mala de choses que je lui dis. Parfois je fais semblant d'oublier. Ce qu'il me dit. De sorte qu'il me dise : t'as oublié ce que je t'avais dit hier soir au lit ? Je ne lui parle pas de ce que je n'oublie pas, de ce que je ne peux pas oublier. Pourtant, retenir mon prénom, le vrai, ce n'était pas difficile car il commençait par la première lettre de l'alphabet. Jamais veut dire : jusqu'au jour où les ténèbres finiront le travail. Bientôt, mon enfant, disait la mère en embrassant son enfant avant qu'il ne dorme. Elle lui donnait à lire Astérix, Picsou Magazine. Bientôt disait la mère. L'enfant lui posait la question suivante : quand est-ce que papa va revenir de la guerre ? Bientôt disait la mère. Les yeux pleins de larmes, entre parenthèses. C'était comme si je t'avais dit : aide-moi, je vais recommencer, et que tu avais entendu. Ton amour a lié mes poignets et mes chevilles. Tu es allé te prostituer aux Amériques (on peut dire ça). Ton amour comme de grosses chaînes métalliques, lourdes, comme si j'étais une prisionnière, de quelque chose de puissant, mais de fantoche dans le vent. Que j'avais en permanence et que certains remarquaient (les chaînes). Il existe des sorts liant les chevilles et les poignets de la victime. Les ambassadeurs de la lumière ont une immunité diplomatique à ce sujet. Pensent-ils.
Le soleil avait beau se coucher, ce qui donnait l'impression que la piscine était remplie d'or liquide, nous n'avions pas sommeil. Nous avions envie de rester là à contempler la vallée, que notre maison surplombait. On regardait et comme j'étais loin de toi, comme je me trouvais loin, je n'avais qu'une idée en tête, tenir pour te rencontrer. Mais je n'étais pas consciente de ce fait irréfutable : j'étais dans un sommeil permanent, comme nous le sommes plus ou moins tous à certains moments de nos vies. J'avais des kilomètres d'avance, ou de retard. Les deux en même temps semblaient justes. Impossible de le définir en ces termes. Dans ma vie tu es arrivé comme une surprise, et j'avais beau regarder les feux prendre ici et là dans la vallée, avec les pompiers qui couraient après pour les éteindre en criant, les gens autour qui hurlaient "ma maison, ma maison" (en Portugais), les pauvres avec le peu de moyens qu'ils avaient les pompiers, je me trouvais tellement loin de toi. Il y avait une fine membrane et pourtant des milliers de kilomètres. Qui se trouvaient dans cette fine membrane. Comme une poche des eaux, si tu vois ce que je veux dire. Pour te donner une image concrète, un sentiment concret, que je n'ai jamais eu, celui de la rupture de la poche des eaux. Que ça me fendrait presque le coeur d'y repenser aujourd'hui, de savoir pourquoi, pourquoi je n'ai pas eu droit à cette connaissance. Il aurait eu sept mois aujourd'hui, et il aurait été fait dans ma folie et dans notre amour. Il aurait été un grand homme plus tard, du style médecin, et ne serait jamais allé voir les putes. Ou alors, pour conjurer le poids du secret familial, il serait allé aux putes sans trop savoir pourquoi. Heureusement, nous n'avons pas mis un enfant dans ce monde épouvantable, pas encore. J'étais si loin, si loin de tout ça. Le marbre rose d'une tombe dans le cimetière pas loin a été fendu cet été-là. Tu étais quelque part dans Paris, déjà, et ta femme était probablement enceinte de toi, tu regardais dans ses yeux et tu y voyais tes réponses. Tu devais y voir de l'amour. Certainement qu'elle le ressentait, ou alors elle faisait semblant, beaucoup de gens font semblant en amour. Il suffit qu'ils se sentent bien un minimum et ils restent. Avoir un enfant, l'aimer, et l'accompagner, vers sa mort le monde adulte, pour retourner vers la sienne, propre, le monde des enfants, à nouveau, c'est un chemin qui te va tout à fait, encore aujourd'hui. Tu es fait pour ça. Malgré le Petit Garçon qui a très envie de sortir à nouveau pour jouer encore une fois dans le bac à sable, comme autrefois en 1945, l'été 45, en août. Il était dans le salon à regarder la télé dernièrement, sa mère préparait une tarte aux abricots et une autre aux cerises dans la cuisine. Elle souriait tout le temps, elle avait les dents bien blanches, sa mère. Elle ne le laisse pas sortir pour l'instant mais elle va le faire. Pour qu'il joue. Dehors. Dans le bac à sable. Avec les enfants, tous les autres enfants. Petit Garçon va. Dans ses yeux il y avait aussi des réponses. Toutes tes réponses peut-être pas mais tu l'avais aimée en partie parce qu'elle confortait tes faiblesses. Cette femme devenue mère de ton enfant. Souvent les gens s'aiment pour éviter de prendre leurs responsabilités individuelles, et au lieu de faire de l'or liquide dans la piscine, mettent en commun leurs faiblesses, je voyais ça tous les jours dans les yeux de mes clients au boulot. Les enfants viennent, le soleil a beau se coucher, les enfants sont l'étape décisive. Ils te donnent mille raisons de rester, mille raisons de partir. Ils te regardent comme si tu pouvais répondre à toutes les questions qu'ils peuvent se poser. Et qui sont au nombre de mille, au moins.

Mille façons de t'embrasser, je n'en connais que mille. En mentant un peu. Et des mille et une nuit, je n'ai retenu que la dernière page, celle à laquelle je me suis endormie emportée vers un monde meilleur -peut-être-, guidée par la cavalcade dans ta poitrine accueillante de ton coeur humain tellement chaud.

Tu vois, après mille apparitions de la Lune, mille fois nos yeux se sont fermés ensemble. Tu comprends désormais pourquoi

Nous sommes encore vivants.


cara

1000_raisons_de_mourir

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