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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
6 janvier 2008

Doxa Americana

Muerto

Un beau jour ils partent. C'est l'hiver.

On attend, assise, un peu fébrile, un peu sur le fil, sur le feu. Bouillir d'impatience n'a jamais réussi à tuer l'impatience, l'impatience est mauvaise. Ils pensent peut-être que ça ne se voit pas, leur petit jeu. Peut-être qu'ils pensent être dans un canal unique, de marche. Qui fonce. La chose devant eux les attire. Ils ne voient pas. Etre assise je ne vois mieux seulement parce que je peux y penser, sinon je serais comme eux. Debout. Rares sont les gens qui meurent debout, mais c'est déjà arrivé. Dans Blue Velvet, un homme mort tient grâce à un balai disposé par Dennis Hooper, terrifiant dans ce film. On a le cul collé au siège. Les aéroports foutent la trouille, aujourd'hui plus qu'hier. Moi, je ne suis que fébrile. J'attends de le voir arriver au loin, je pense un peu à ce rythme étrange, lancinant de mon coeur, ce n'est pas juste je me dis. De tourmenter comme ça l'intérieur. De quelque chose. Je me dis que ce n'est pas juste. J'ai faim. Où nous sommes là, assise sur le siège, où sommes-nous, ça avance, ça progresse, ils sont tous attirés par quelque chose devant eux, qui les tire comme on tirerait sur une corde, avec toutes ses forces. De toutes ses forces. On perd patience. On gagne en grandeur, il paraît que la patience rend adulte tous les enfants du monde. On apprend. Je me sens mal à l'aise. Je me sens comme  une menteuse. Je me sens comme quelqu'un qui n'est pas juste. Qui n'est pas bon (ben voyons, c'est reparti pour un tour, que vous connaissez peut-être vous-mêmes). Je ne me sens pas coupable, je me sens carrément mauvaise, ce n'est pas la même chose, il ne faudrait pas confondre. Ce que je dis (donc la parenthèses précédente était un jugement qui n'était pas nécessaire). Je le dis mal mais je suis claire la plupart du temps. Il va arriver. Il va revenir, de la masse, de cette foule, de ces fourmis, ils sont si petits, pourtant beaucoup de corps plus gros que les miens, je me sens beaucoup plus petite, beaucoup beaucoup plus petite. Un homme regarde sur internet à côté de moi quelque chose. Je le regarde, il m'adresse un regard froid, impersonnel et retourne sur son écran. Je vois le logo Ratatouille sur son écran. Bientôt en DVD. Oui c'est ça : je me sens comme un rat. Un rat et les corps sont beaucoup plus grands que moi. J'avale trop d'air, ça fait des bulles dans mon âme, et c'est pas du champagne pour fêter la prochaine année, ce n'est pas celui de l'année passée. Le temps n'est pas mon ami. Le temps n'est pas mon ennemi. Une petite fille qui ramasse une peluche. La mère lui dit en tirant sa valise : donne, ne le met pas à la bouche, je vais le laver. Le ? Le doudou je suppose. Je vois des gens qui se séparent à ma gauche, et les annonces sont pénibles, ils répètent souvent la même chose, et ça envahit tout mon être, et je suis fébrile déjà. Tout le côté gauche est bizarre. Je me demande si je fais une attaque cérébrale. Et puis je me dis : tant mieux. Si c'est ça. J'ai des irradiations dans le bras. Dans la mâchoire. Dans le côté gauche de la cage thoracique, je me dis : c'est compatible avec une crise cardiaque tout ça. Depuis deux jours. Je me rends compte que je somatise quelque chose. Quelque chose de concret, cette chose a deux jambes, ma foi fortes et poilues, un pénis étonnant, un tronc, plutôt attirant (à condition qu'il soit terminé par ses extrêmités, pas comme les amants de Simone Weber). Je pense à cette chanson de Stuart A. Staples, mais je ne me souviens plus du titre. Belle voix, ce Stuart. Vraiment belle voix. Je voudrais un homme avec une belle voix, ou plusieurs avec de belles voix, comme ça. Mais je sais que ce que je veux, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai dans le sens : ce n'est pas réel. On confond souvent la réalité avec la vérité. Pourtant tout reste à construire. Je n'ai rien touché, moi, de son départ à New York. Rien. Il va bientôt arriver. J'attends, je sais que j'attends pour quelque chose. Je sais qu'il va revenir. Je sais que c'est imminent. Je me sens mal parce que j'ai pris des substances qui sont incompatibles avec la vie de couple (il paraît). Avec la vie amoureuse. Avec l'amour. Ou alors l'amour qui fait pitié. Je devrais faire moins pitié aux autres, peut-être, ainsi, qu'ils me feraient moins pitié à leur tour. J'ignore qui a commencé le premier, ce n'est pas moi je suis clean. Pour autant, je vois les gens se retrouver, à ma droite, et ils se retrouvent et je sais qu'ils vont arriver. Et je sais que son vol va débarquer, et j'entends les annonces qui envahissent tout, mon coeur, ma rate, mon foie, c'est exagéré. Je me dis : respire correctement, arrête d'engloutir tout cet oxygène, c'est trop. Il me faudrait respirer dans un sac, mais je me contente de retenir ma respiration, pour calmer la bête en moi, dans la poitrine, le coeur bondit avec l'enfant on croit, on s'amuse avec les doigts, en les claquant. Pour passer le temps. Le mec à côté de moi se lève. On dirait un homme en noir, il n'a rien dit, il n'a pas donné de conseils du style : taisez-vous, nous savons que vous savez. Il aurait pu avec son apparence. Je reçois un appel, je le prends. C'est mon père. C'est un père qui demande des nouvelles de son enfant. Que je suis. J'ai une vie sexuelle normale maintenant, avec quelqu'un qui n'est pas de mon sang, mais malgré ça, on reste l'enfant de quelqu'un. Toujours. On baise mais on reste l'enfant, et on fait l'enfant, même si on se prend pour autre chose. J'aimerais dire deux mots à celui qui a fait naître l'humanité. Qu'il soit divin ou extra-terrestre m'importe peu, toutes les théories d'extrême droite et ce qui se trouve en place, tentaculaire, j'aimerais tout de même, malgré tout, lui dire deux mots. Deux mots. Juste deux. Pas besoin de plus. Je n'ai que deux mots, en définitive, dans mon propre langage. Dans ma propre didactique (?). Donc je n'ai peur de rien, j'ai peur de tout au contraire, et je fais avec, je fais toujours avec, j'ai toujours fait avec, avec ceux qui prenaient plus qu'ils n'avaient envie de partager. J'ai envie de pleurer sur ce siège, mais tant pis, j'assume. Alors je tourne la tête vers le côté où le moins de gens sont assis et je me frotte les yeux, en faisant mine de simuler la fatigue, mais en fait j'essuie les gouttes qui sortent tout de suite, les gouttes, comme je disais petite, les gouttes de larmes. Les gouttes de larmes je disais, petite. Un petit souvenir de petite fille, c'est toujours émouvant dans un blog, c'est toujours touchant et c'est toujours utile, ça permet de faire naître chez le lecteur un petit sentiment d'émotion, de partage, sinon on serait bien obligé d'avaler un désert. Entier. Tu aimes le goût de certains pains qui craquent comme le désert, on a l'impression de bouffer du sable ? Peu importe, si tu n'entends pas, tu mourras quand même. J'essuie les larmes, qui riboulent dans mes yeux sans contrôle possible, je ne devrais pas demander le contrôle, Dieu sait que je déteste ça, pourtant finalement, c'est ce que je voudrais avoir, le contrôle total sur moi-même, chose qui est impossible. La plupart demande ça. Ma demande est tellement classique. Assise sur ce siège, je le sens, je le sais. J'appartiens à cette chose que j'ai toujours fui : à un homme. Oui, je me suis bien baisée moi-même finalement. Et je retiens mes larmes. Ce sont de grosses larmes, mais pas feintes, elles parlent pour ma fatigue en fait, deux mois sans lui c'était quelque chose d'étrange. J'avais envie que ça continue. Que ça dure. J'avais trop envie de ça. Pour être honnête. Et j'avais envie de son contraire. Je pourrais sortir de là et voir sur la route une procession de carnaval brésilien pour le Jour des Morts, ça me ferait plaisir aussi, mais j'avais envie des deux choses : la chose et son contraire. Sur certains sommets, on peut crier et l'écho s'entend pendant presque une minute entière. Il faut crier très fort. On crie très fort, il faut avoir du souffle, et grimper juste avant, c'est déjà plus que fatigant. Et moi je grimpe toujours. Je grimpe toujours, et parfois je m'arrête, je regarde en bas, je me demande si ça serait pas plus simple, pas plus facile de descendre. J'ai foi en quelque chose. Je suis à l'aéroport et j'ai foi mais je ne m'en rends pas compte. Ceux qui lisent, ne s'en rendent pas compte, mais coupent les fruits en deux : la chose et son contraire. Le blanc et son contraire, le noir. Tu vois, toutes les couleurs et l'absence de couleurs, ce ne sont pas deux couleurs, dans le spectre, tu vois. Je pensais que pour toi c'était acquis depuis longtemps, je pensais que tu savais dépasser ça, que tu cherchais, comme moi, à déloger quelque chose lorsque tu prenais la parole. Lorsque tu prenais la parole chez toi. Mais peut-être que j'ai fondé trop d'espoirs en toi, et peut-être même en moi, c'est possible. Regarde en bas, c'est tentant de redescendre. On pourra essayer de crier plus fort d'en bas, l'écho ne durera pas deux secondes. Je t'en prie.

Les gens aiment se retrouver, ils se font des sourires que je regarde : l'énergie des sourires donne de la force à ceux qui les regardent. Ceux qui regardent, je ne fais pas que ça, regarder, mais je prends la force, des sourires des autres, et parfois, ils sont bien moches, ordinaires, ils ont l'air ordinaire, les autres. Ils font quand même des sourires, donc de l'énergie, pour les êtres comme moi, qui sont drapés de noir, et pas parce qu'ils sont gothiques et qu'ils aiment les donjons dans la brume (ou les gorilles, c'est la même chose). J'ai envie de le voir arriver, très vite. Je suis venue trop tôt. Les larmes ne coulent plus maintenant. La pluie dehors est merveilleuse même si le temps est déprimant, je lui ai dit au téléphone : c'est sombre, c'est gris, c'est lourd, c'est le ciel qui appuie contre les têtes des gens, et il pleut. J'adore ce climat habituellement mais pas aujourd'hui. Non, pas ça, pas aujourd'hui. Les valises, les étiquettes, les tapis roulants, les gens qui se font cracher de là-bas, ils arrivent tous de là-bas. Je croise les jambes, une famille vient s'asseoir à côté de moi, je les regarde du coin de l'oeil. Une autre petite fille pleure, elle est plus petite que celle que j'avais vue, elle avait laissé tomber sa peluche. Celle-là pleure, sur les genoux de sa mère qui essaie de la réconforter. Le père baille. Ils attendent. Il s'étire. Ils se reflètent devant moi, et je suis heureuse de voir leurs reflets, ils sont juste à ma droite, et la tradition voudrait que je les dévisage un instant, mais je préfère leurs reflets, qui est bien plus révélateur, et déformé, on dirait de l'art. De l'art sorti du vivant, du contexte de cet énorme hangar. Les annonces sont pénibles, et les voix qui les font le sont encore plus. Je ne pourrais pas faire un tel métier. Je suis trop contre. J'écris contre j'avais dit au barbu. Je l'ai dit souvent, et à d'autres. Il ne comprenait pas. J'ai dit : contre moi. Contre vous. Contre la société. Contre le train en marche. On écrit contre, avec parce qu'on ne peut éviter certaines chaînes, ou alors il faut être un peu fou, a-t-il prétendu, pour oser être soi-même. A l'extérieur. Moi ça me semblait évident, j'ai dit aussi : c'est malgré moi vous savez. Contre. Malgré moi. Ce n'est pas un masque, ni un décor, ni une...Comment dire... Un apparat. Les enfants restent les enfants de leurs parents, qu'ils baisent ou non, qu'ils soient grands ou non. J'ai dit à mon père que j'étais désolée pour avoir été...Et il avait oublié. J'étais surprise. Les parents oublient. C'est leur job. D'oublier qu'ils n'ont pas fait des êtres comme ils auraient voulu qu'ils soient. Les bons parents sont fiers de ce qu'ils ont produit, c'est-à-dire un être indépendant de leurs désideratas. Je vois finalement des gens passer, des gens passer, je vois un homme qui tire une grosse valise, qui a l'air fatigué, il est en chemise, il tient sa veste grise. Il regarde les tableaux, ensuite il avance vers la sortie. Il s'arrête un instant pour acheter le journal. Oui. Il sort son téléphone. Les larmes, les gouttes des larmes. Je le regarde et je repense à ce que j'ai fait, le sachet de champignons que j'ai caché dans mon sac, et à la lumière que j'avais vue, allongée sur mon lit, je tendais les bras vers ce tourbillon de lumières magnifiques. J'étais en communication avec l'univers (du moins les champignons me le faisaient croire). Cet être à côté de moi qui semblait vouloir répondre à mes questions. Je pleure, voilà. Pour de bon, je reste assise. Il appuie sur un bouton et colle son portable sur son oreille. Le mien se met à sonner. Je pleure à chaudes larmes, le sommet n'est pas loin, on va pouvoir crier, pour tous les échos du monde. Les voix qui fracassent les rochers, et la roche des montagnes. Toutes les choses pour faire une montagne, tu sais, ce qui rejoint le ciel. Mon père, son amour, et pour lui dans ses yeux de parent le nouvel ordre des âges et des siècles. C'est beau le rouge, je me sens toute rouge, je pleure et la mère me regarde du coin de l'oeil, elle utilise aussi mon reflet devant elle. Elle est maline, comme moi. Je décroche et je dis allô en ayant un petit rire étouffé. Le sommet est encore loin ? Mon amour et l'écho ? Il dit : allô, c'est moi ma puce. Il fût une époque où je l'aurais tué, étouffé dans son sommeil à cause de ces petits noms, ma puce, ma belle, mon amour. Mais plus aujourd'hui, je suis plus coulante, d'ailleurs on m'a dit que c'était moins bien à cause de ça. Je regrette, c'est mieux qu'avant. Mais sa voix résonne en moi, il me dit : je t'entends très bien, je viens de débarquer. J'aurais dû l'attendre plus avant, il était surpris, il avait regardé autour de lui pour voir si je n'étais pas là. J'étais restée un peu plus loin, sur les sièges... Je me lève, je lui dis : j'arrive. Je prends mon sac, ne pas oublier son sac. Je le prends. Je marche d'un pas assuré vers lui. Je lui dis : j'avance vers toi, je te vois. Il regarde tout autour de lui. Il me capte et j'en ai des frissons, ça veut bien dire : écho, sommet, et montagne non ? C'était comment en bas ? Et si on redescendait, ça fait peur, j'ai toujours eu le vertige, perchée à cette altitude. Moi. C'est beaucoup trop haut pour toi, pour toi qui ne te contente que de tes modes automatiques. Son regard ne cache pas son émotion. On raccroche et il m'attrape et me serre fort. Il me soulève de terre (l'écho) et me repose (le sommet) et me roule une pelle. Je repense à cet instant, malheur, corbeau, à la pelle que j'ai roulé à Yann, non pas par envie mais par pitié. Je me rends compte que je n'aurais pas dû faire ça, même si c'était complètement anodin. Je lui demande s'il a fait un bon vol. J'essuie mes larmes et il retient les siennes, ça se voit. Il a de petites larmes de joie qu'ils cachent. Il me dit que c'est trop bon de me revoir. Il me dit que je suis superbe. Il me dit que je lui ai manqué énormément. Il me demande si j'attends depuis longtemps. Il me demande si j'ai faim. Je lui dis que j'ai fait les courses, que... Il dit qu'il veut m'emmener au restaurant. Je n'ai pas très envie mais comme il est plein d'entrain pour, je lui dis d'accord. Finalement, en moins d'une seconde, c'est devenue une bonne idée. Je lui prends sa veste, il me demande : regarde si mon portefeuille et dedans. Oui, F, j'ai passé un excellent 5 janvier 2008. J'ai traversé toutes les nuances possibles et imaginables du spectre des couleurs. De l'arc-en-ciel, tu sais, ça fait toujours plaisir d'en voir un. Je t'assure. Nous sortons, nous avançons, sans rien nous dire, nous avons juste besoin de nous toucher, il a besoin de me prendre par la taille, en tirant sa grosse valise. Il me regarde, je lève les yeux vers lui, je lui dis : quoi ? ça va ? Il me répond : oui, maintenant ça va bien...Je suis trop heureux de te voir... Moi aussi je lui dis. On se dit d'autres trucs et je me rends compte à ce moment précis, à quel point j'ai dérapé avec moi-même. A quel point j'ai dérapé. Je me rends compte, à ce moment précis, alors qu'il me tient par la taille, à quel point ça lui ferait du mal et à quel point il serait déçu s'il savait pour cette histoire littéraire bien entendu, de drogues. Alors je me dis : il faut qu'il ne sache jamais. Jamais. Il faut que je jette le reste au lieu de le garder. Il faut que je redescende finalement, pour aller enterrer les derniers ossements. Je m'en rends compte dans la voiture, lorsqu'il m'embrasse longuement, ensuite pour me dire qu'il m'aime, avant que je ne démarre.

C'est l'hiver et il fait nuit trop tôt. Un beau jour ils reviennent.

hardy7170il9
19680883
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