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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
31 décembre 2007

Si j'étais charpentier...

nan_goldinartwork

Les scrupuleux qui font des listes, des décomptes, des classements ont des esprits qui m'effraient. Leur besoin de contrôle est trop criant et me fait craindre la pire des instabilités. Quelle liste devrais-je entreprendre, à part attendre le 5 janvier qui me semble si loin que je pourrais tout mettre derrière moi et tout recommencer seule encore une fois ? J'écoute beaucoup Spaccanapoli, que j'adore, mais je ne devrais pas, c'est beaucoup trop italien. C'est malsain d'écouter des choses qui me confortent dans ce ressassement, ce sentiment irrépressible (un mot beaucoup utilisé dans ce blog ces derniers temps) que quelque chose d'horrible va se produire. Quelque chose de salement moche (oui oui) et d'inédit car nous n'apprenons pas de la redite, tout n'est que redite et elle nous semble, à chaque retour, plus inédite encore que la dernière fois. Entreprendre un enfant dans ces dispositions d'esprit n'est pas envisageable. Ce n'est pas concevable. J'aimerais que mon barbu entende cela, ce psy à la noix qui pourtant me faisait du bien autrefois, dans son écoute sans jugements. En même temps, c'est son boulot, d'écouter sans juger. Sinon ce serait un mauvais médecin, c'est évident. Au téléphone, il s'évertuait à inséminer, encore une fois, l'idée de faire un enfant dans mon cerveau. Cela faisait longtemps. Quand ce n'était pas le mariage, c'était l'enfant. Tout d'un coup, il me parlait de ça, tout le long de la conversation a tourné autour de cette question, et il est là-bas en Amérique, il peut y penser. Je me suis demandée ce qui pouvait le pousser à me reparler de ça aussi brutalement. C'était peut-être par sous-entendus mais c'était brutal. Mon Homme, toi là-bas en Amérique, tu fantasmes, tu te fais des films, ça tourne, tourne dans ta tête. Les chutes du Niagara, les rapides et le Nouvel An à Savannah, je crois que ça te monte à la tête. Tout ça. Je ne devrais pas le tutoyer en public, surtout devant des incompétents narcissiques, un prof de théâtre récemment. Un léthargique qui venait me faire profiter de son vide à lui. J'imagine. Oui, Denis est du genre à faire des listes, oui, ce n'est pas pour rien qu'il m'a retrouvée à travers ce site (comme l'autre récemment, je n'ai pas encore répondu, c'est peut-être un quelconque avorton comme j'en ai déjà). Oui, ce n'est pas pour rien que nous vivons ensemble, ce n'est pas pour rien que je l'aime. Tout n'est pas pour rien, enfin. Voyons. Angeline, réveille-toi. Tu es prête pour le réveille, éveille-toi. Eveille-les. Aussi. Ton frère et ton père. Pour 2008. Ils ont besoin de toi, tu es la dernière femme de leur famille proche, tu es la référence féminine dans leur tête et dans leur coeur maintenant, il ne faut pas sous-estimer ça ce serait une grave erreur. Oui, il ne faut pas. Ne sous-estimons pas. Je ne sous-estime pas. Je ne me surestime pas par exemple, je ne me sous-estime pas plus, je devrais peut-être. Peut-être que je devrais dire ce que je dis encore plus, encore plus fort. Encore mieux. En ayant foi en cette chose qu'on appelle l'écriture d'une manière plus totale, plus absolue. Etre absolue. En toutes choses. Non pas être Dieu, qui n'est pas absolu puisqu'il sort de nos bouches et de nos sentiments (pour ceux qui l'ont dans le sang), mais être absolue dans ce qu'on fait. Totale. Il faut être gay ou Curé pour ça, sans déconner (je ne déconne pas, non). Je devrais peut-être faire des listes : un bébé pour 2008, de préférence un garçon (oui j'ai mes préférences, je voudrais un garçon en premier, si c'est une fille je la mets dans un four vivante pour écrire l'expérience ici, c'est mon style de vivre pour écrire, de vampiriser la vie pour pallier mes vides d'écritures, je ne suis pas une putain de vampire voyons, tout ce que je suce, c'est l'énergie de la planète, c'est le sang, c'est le flux, c'est comme tu voudras). Pourquoi, pourquoi sous-entendre ça, c'est la fin de l'année. D'accord, d'accord, c'est la fin de l'année, justement on me dira, on fait des bilans, des listes. De ce qu'on a fait, de ce qu'on voudrait faire. Mais c'est artificiel ces fins d'années, vous n'êtes pas dupe de ça quand même. Bref, j'ai lu dans le blog de Mike qu'il ne fallait pas continuer à se comporter comme une adolescente rebelle, concernant les fêtes de fin d'années, donc je ne ferai pas non plus l'ado rebelle concernant le jour de l'an (j'ai failli écrire le jour de l'Iran, n'importe quoi). Au téléphone sa voix était superbe (comme d'habitude). Et plus il parlait, plus j'entendais son souffle, son souffle qui tremblait, c'était comme une danse, comme faire danser un serpent. C'était beau, j'étais pendue au combiné, et j'essuyais mes larmes, en écoutant cette voix si belle, si chaude, si masculine, si rassurante. Cette personne je l'aimais, et elle me semblait à des années lumières d'ici. Et à l'heure actuelle, des années lumières, c'est encore loin pour nous. J'ai éteint toutes les lumières, j'étais dans le noir et affalée dans ce fauteuil que j'aime tant parce que je pourrais y mourir, parfois j'en ai le sentiment, je l'écoutais, j'étais accrochée à ce combiné, il m'était impossible de mourir avant qu'il ne raccroche. Et entendre son souffle trembler c'était... Il entendait que je pleurais, je reniflais comme un bébé, et je souriais en même temps. Et je sentais que tout sortait (mais pas l'essentiel), tout sortait. C'était bon d'entendre sa voix, plus particulièrement cette fois, il n'était pas entouré de brouillard, du brouillard de son travail, qui l'angoisse, qui le névrose, je sais pourquoi, c'est difficile. Mais ses sous-entendus de bébé, de vouloir faire un enfant avec moi l'année qui vient me faisaient pleurer parce que je croyais l'avoir vacciné contre mais j'ai compris, tout à l'heure, en pleurant dans le noir, accrochée à ce combiné comme à la dernière branche d'un arbre penché au dessus d'un gouffre sans fond, que je ne pourrais jamais le vacciner contre ce qu'il a dans le coeur. Dans la chair. Comme l'a dit Mike d'une manière très anodine, il faut cesser les comportements adolescents. Antonio marche probablement sur la plage, le soleil se couche lentement, et probablement qu'il attend que je dise oui à Denis, peut-être qu'il se dit, de là où il est, de cet endroit où naissent les plus beaux rêves, à ce qu'on raconte, peut-être qu'il se dit que ça serait la plus belle forme de pardon. Peut-être qu'il se dit que ce serait la meilleure chose à faire en ce monde, pour faire un enfant, il faut trouver la bonne personne, quand on a le luxe de comprendre cette maxime, d'une simplicité sublime. Mais pourtant, ce serait superbe si ce sentiment horrible n'était pas là. Quelque chose de terrible va arriver, et j'avais pensé pouvoir m'en sortir en me disant que tous les jours, c'était bien le cas. Mais il y avait son lot de bonnes choses. Toujours. Et je n'avais qu'une envie, qu'il ne raccroche jamais. Jamais. Dans le noir j'aurais pu y rester toute l'année, toute la fin de l'année. Il ira à Savannah, et sa voix tremblait de plus en plus, et il m'entendait pleurer, et il a demandé : tu pleures ma puce ? Et j'ai dit : non, ça va. Et j'ai reniflé. Et il a dit : tu me mens, tu pleures. Et j'ai éclaté de rire. Oui. Et lui aussi a rit. Et ensuite, il a pleuré à son tour. Il ne disait plus rien. Pendant quelques secondes, le silence et son souffle qui tremblait. C'était dur pour lui. Il a dit avec sa voix pleine de larmes contrôlées : je m'accroche à ce combiné trop fort je vais le casser. Cette remarque nous a permis de rire encore une fois. Et de faire cesser les larmes. Les larmes nettoient mais ne résolvent rien, c'est dommage. Elles nettoient la merde juste, elles ne servent qu'à ça. Elles n'ont pas pour vocation d'empêcher la merde de revenir dans les yeux. Et quand je dis merde je ne parle pas d'une simple poussière dans l'oeil, ou du  ciment pulvérisé des tours. Non. Je parle de... Il me paraissait à des années lumières mais on a quand même pensé qu'il était temps de raccrocher. J'avais envie d'un bain, de manger quelque chose j'avais oublié d'acheter du pain. J'oublie des trucs depuis qu'il n'est plus là. Et j'ai pensé à mon trip : j'avais de la chance d'être presque totalement revenue, j'avais toujours su que le terrain de ma personne était propice pour des problèmes psychiatriques aigus. Mais la confusion avec la littérature n'était pas encore effectuée, je pouvais encore travailler ce que j'avais. J'ai pleuré en pensant à ce trip et en l'écoutant, j'avais honte de lui cacher ça, en même temps, ç'aurait tout gâcher de lui dire donc je n'ai rien dit. Il ne lit plus ce que je fais depuis longtemps, ça lui faisait du mal, tant mieux. L'écriture était ma compagne bien avant que je le connaisse, normal qu'elle compte autant pour moi, au moins autant que lui compte pour moi aussi. Mais non, toute ma vie j'avais décidé de rester chronique, comme la plupart des gens. Et moi j'avais dépassé le stade de l'écriture qui vous fait du bien simplement pour mettre des patchs sur la vie. Donc...J'ai écouté le vide laissé par son téléphone lorsqu'il a raccroché et j'ai encore un peu pleuré, car les larmes nettoient. Mais ne guérissent de rien, dommage. Mille fois dommage. Je me demande si ces connards d'Adam et Eve ont pleuré lorsque ce merdeux de Dieu leur a fait des strings en peaux de bêtes pour les foutre dehors du jardin d'Eden.

La culpabilité descend en cette fin d'année. Ce que j'ai fait. J'ai parfois le sentiment de ne pas l'avoir fait. Je m'en souviens comme d'une chose iréelle. Comme des choses qui appartiennent à l'enfance. Pourtant je n'étais pas une enfant, et ça ne fait pas si longtemps que ça. Mais bien sûr que si. J'étais encore qu'une enfant. Il faut être un peu enfant pour faire ce genre de choses. Le pire de l'enfance dans les mains. Les adultes ne devraient pas se croire terminés, ils sont tellement arrogants face aux gosses. Ce souvenir est côtonneux, endolori. Il y a comme un flottement tout autour de lui, je ne sais pas à quoi c'est dû. La culpabilité de ce que j'ai fait, de ce crime, ça reste un crime, dans les grandes largeurs, disons, humaines (mais...évitons d'émettre des hypothèses foireuses à ce sujet). Quand je serai vieille, chauve et édentée, la peau comme un marbre blanc, sur mon lit de mort seule ou entourée des gens que j'aurai su garder au cours de ma route ou que  je n'aurai pas su garder auprès de moi, tout au long de cette route, je m'imagine repensant à ça d'une manière très claire, très précise, en me demandant réellement si ce que j'ai fait est totalement mauvais ou au contraire, complètement justifié. Pour moi, à l'heure actuelle, au-delà des grandes émotions et des grandes idées toutes faites, c'est-à-dire au-delà de Dieu, je dois bien admettre que mon acte ne m'empêche pas de vivre, cependant je garde à l'esprit l'acte en lui-même, sa nature particulière qui m'a fait me transformer indiscutablement. Cet acte, qui a été de dérober le bien le plus précieux à quelqu'un d'autre, j'ai le sentiment d'en mesurer toute la teneur parfois, mais à d'autres moments pas suffisamment. J'imagine que cette indécision est logique. Ceux qui n'ont pas succombé à leur envie de vengeance doivent certainement m'envier ou me haïr pour avoir oser réaliser ce fantasme. Car c'était bien un fantasme. D'autres partouzent parce que c'est leur fantasme, d'autres torturent pendant la guerre (ou non), parce que l'instant est arrivé où ils peuvent réaliser leur fantasme. Moi je n'ai pas attendu et je suis allée chercher l'instant pour le concrétiser. Ceux qui n'ont pas succombé à leur envie de vengeance doivent me haïr ou m'envier d'avoir osé le faire. Je leur répondrai que l'enfer est plus doux lorsqu'il s'agit d'envisager la question sérieusement deux secondes, et qu'être aveuglé par sa passion ne permet pas d'apprécier tous les attraits que la passion peut parfois amener. La passion dans l'axe du bien bien sûr, tout dépend de votre vision de ce qui est bien. Finalement, je me sens bien plus triste d'être à des années lumières de l'homme que j'aime. Pour être honnête, je ne pleure plus depuis longtemps sur ce que j'ai fait (faux, j'ai encore pleuré beaucoup à cause de ça cette année et ça fait un bien fou de pleurer, ça prouve qu'on devient de moins en moins monstrueux à soi-même). Cependant aujourd'hui je crois que j'aurais choisi un autre moyen, un autre chemin, au lieu de rester aveuglée dans la souffrance, dans la colère. Mais il n'y a pas lieu de regretter, au final. J'aurais dû faire plus confiance à l'écriture, vers laquelle je me tournais pour de mauvaises raisons à l'époque. Elle était ma compagne, il était mon bourreau. Il me fallait une compagne. Le lesbianisme n'était pas la question : il me fallait une compagne, une force, et plus qu'une rustine pour boucher les trous, plus qu'un patch pour arrêter de fumer... Il me fallait une foi qui ne soit pas comme la sienne, catholique et superstitieuse,  pleine de torsions, notamment sexuelles. A l'image de nos proches, de notre famille, avec lesquels on ne règle jamais nos comptes vraiment, puisque nous sommes liés à vie (jusqu'aux morts successives en attendant la nôtre), chose qui n'est pas simple d'admettre, il en va de même pour un violeur et sa proie, les comptes ne se règlent jamais véritablement, et je ne peux pas parler pour ceux qui passent par la case justice, puisqu'il faisait partie de ma famille, en plus d'être mon agresseur, et que justice je me la suis rendue moi-même, toute seule. Pour aller plus vite et pour éviter tout le pathos social. Mais oui, j'aurais fait les choses autrement aujourd'hui. Evidemment si j'étais charpentier, j'aurais fait vos maisons à mon idée, comme j'ai fait ma maison conforme à la mienne. Heureusement, les idées progressent et régressent dans l'espace-temps.

Je n'aurais pas dû parler de ça. Maintenant. J'aurais dû le dire plus tôt. Plus tôt, pour qu'on puisse... L'Atlantique la nuit s'en fiche de toute façon. 

Evidemment, on ne se raccroche pas à un combiné comme ça pour tenir dans le noir. On ne se raccroche pas, c'est le combiné qu'on raccroche. On ne raccroche pas les gens, ni les voix. Ce n'est pas comme raccrocher au nez de quelqu'un. Après une dispute. Mais les années lumières parlent pour le silence qui fait zzzzzzzzzzzzzzz. Le silence et son bruit. Les fréquences que certains entendent, ils ont l'impression que ça vibre tout le temps dans un cimetière, chez les Morts. Parfois, les fréquences qu'ils reçoivent, ils tentent de les partager avec les autres, qui meurent, ils n'écoutent pas. Mais c'est bien ce mouvement, en même temps on l'apprécie avec le temps, il faut que ça continue comme ça encore un an. Au moins, c'est ma grande résolution. Il faut que je continue à vivre au moins un an, avec cette foi, qui de plus en plus devient légitime. Vieillir ce n'est pas atteindre l'immortalité mais presque. C'est atteindre la désillusion mais on la prendrait bien pour de la sagesse. On allume la télé, on reçoit les coups de fils qui insistent pour que demain, vous veniez. C'est l'heure de dire au revoir à quelque chose. L'année dernière, je devais être à Nancy, sur la place Stanislas. Cette année, je serai chez des amis plus jeunes, de Denis des amis, plus jeunes que lui, ouf. Ouf. C'est rare, mais j'en profite, je les connais mal, ils auront tous quand même la quarantaine, mais ouf, pas la cinquantaine, ouf, pas la soixantaine. Ouf. Je vais souffler. Me raccrocher des yeux à quelque chose dans le ciel, il va faire froid, on ira manger tous ensemble quelque part, dans une quelconque... Bref peu importe. Un truc du coin, régional, local. Avec des spécialités locales, pas fines, avec de la graisse. J'ai envie de manger du canard. J'aime le canard, les pauvres bêtes, les canards sauvages, je l'étais, et le paradis on l'emmerdait. J'ai assez d'espoir en moi et de lumière pour l'emmerder, j'ai assez d'espoir et de lumière en moi pour l'aimer de près comme de loin aussi, même si je sais que quelque chose d'horrible et d'inédit dans l'horrible va se produire. Qu'est-ce que tu veux faire à part pleurer, moi je ne peux pas empêcher les choses horribles d'arriver. Alors pleure. Pour ça j'ai toute la joie du monde en moi, et j'ai des combinés de téléphone pour m'y raccrocher.
Bonne année. 

If I were a carpenter
and you were a lady,
Would you marry me anyway?
Would you have my baby?

If a tinker were my trade
would you still find me,
carrin' the pots I made,
followin' behind me.

Save my love through loneliness,
Save my love for sorrow,
I'm given you my onliness,
Come give your tomorrow.

If I worked my hands in wood,
Would you still love me?
Answer me babe, "Yes I would,
I'll put you above me."

If I were a miller
at a mill wheel grinding,
would you miss your color box,
and your soft shoe shining?

If I were a carpenter
and you were a lady,
Would you marry me anyway?
Would you have my baby?
Would you marry anyway?
Would you have my baby?

Bobby Darin If i were a carpenter

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