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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
2 décembre 2007

See Line Woman

Schweenihurtmyselftoday

BOTTE DE FOIN

Elle avait quelque chose à me dire. Dimanche c'est le jour du Seigneur. Le jour des repos. Nous sommes allées voir un film dans lequel il y avait une scène, où des gens applaudissaient, des gens noirs. C'était une scène de Gospel, et c'était beau, c'était triste. Le film était à elle. Elle était venue chez moi avec le DVD, j'avais regardé le programme de cinéma, mais ça ne m'intéressait pas d'aller voir un dessin animé estampillé Walt Disney. Anne avait besoin de compagnie, ça faisait très longtemps Anne, j'en suis désolée. Elle était occupée. Moi aussi. Enfin presque. On essaie de ne pas mentir. On essaie de ne pas mentir au téléphone. Elle avait des difficultés avec les hommes elle, je l'avais vue pleurer à cause de certains. De certains qui crevaient parfois ses pneus, la nuit. Ils viennent rôder les hommes, la nuit. Autour des voitures, de vos voitures, des granges, de la piscine. Du tracteur qui fait parfois des bruits, de repos. Il a chauffé toute l'après-midi, sous un soleil de plomb. Il ne sait pas pourquoi, le tracteur. Pourquoi il est comme ça. L'homme rôde dans la grange, il pense, je crois. Il dégouline de sueur. Il a quand même osé mettre un marcel. Maintenant le marcel est brun, avant il était d'un blanc. Immaculé. A l'entrée de la grange, au dessus des grandes portes de bois, une croix. Faite aussi avec ses mains. J'ai mis son DVD pourri. Le film allait être bien terne. Je le savais, j'avais vu le nom du réalisateur, un fonctionnaire de pacotille, comme on en voit la plupart du temps à Hollywood. Brun de la sueur. Anne souriait tout le temps. Elle avait pris du poids. Je trouvais que ça lui allait bien. Je lui ai dit. Elle était avec un homme de vingt-sept ans aujourd'hui. Pendant que je préparais un plateau, le logo Universal tournait dans mon écran. Sa femme coupait le saucisson sur une planche en bois. Il y avait un crucifix qu'il avait fait de ses mains, accroché dans la cuisine. Lui et Thomas étaient souvent à couteaux tirés, lui était catholique, Thomas, témoin. De Yahweh. Je n'ai plus envie de dire Jéhovah. Jéhovah c'est l'entité des ténèbres par essence. On me l'a dit récemment. Bref, de Yahweh. Je préfère le penser, l'avoir dans le coeur. Même pas en fait. Très peu. Que le côté droit du cerveau. Que le côté droit. On peut s'en contenter. Elle était plus... grosse. Mais pas grosse. J'aime les grosses aussi, même les dégoûtantes, qui ne s'aiment pas elles-mêmes, ce que je n'aime pas, ce sont les gros. Anne n'utilise que le côté droit de son cerveau, ce n'est pas grave. Elle avait quelque chose à me dire. Et elle était radieuse. Elle avait rencontré ce gentil garçon de vingt-sept ans. Elle était amoureuse de lui. Il a reflets roux, en été. Ses cheveux changent de couleur légèrement, ils se gorgent de soleil. De force du soleil. On attend les résultats, et ça marche : les cheveux changent. Ils prennent d'autres reflets, c'est étrange. Oui je sais. Pas plus que de savoir qu'ils continuent de pousser après la mort. Regarde tous les hommes et toutes les femmes qui entrent dans des boutiques de coiffure pour ressortir bien coupés et agréables à regarder. Donc les cheveux poussent bien après la mort, on le sait. Ma grand-tante avait dû déplacer le corps de sa propre soeur, ma grand-mère. Ma grand-tante était fossoyeur. Elle avait pris les os de sa soeur et les avait mis dans un sac. Elle avait trouvé son cuir chevelu intact. Et encore plus fourni qu'à l'époque où elle avait été enterrée. Il est gentil, il est prévenant, il écoute, il est drôle, et il ne fume pas. J'ai eu envie de m'enfuir de chez moi en l'écoutant, mais je ne l'ai pas fait : elle n'aurait rien compris à mon comportement, et aurait pensé que je tirais la couverture à moi, alors qu'il s'agissait de son petit ami et d'elle. Et puis je l'aurais laissée chez moi toute seule, elle n'aurait rien compris au film. Elle m'annonce la nouvelle : et je suis enceinte. Les convenances sociales, Antonio m'a tout appris. Il enlevait son marcel et essuyait son visage avec. C'était un spectacle. Les muscles de la terre, et pas de la gonflette habituelle. Du narcissisme habituel. J'ai tout appris avec cet homme, le sexe, les convenances sociales, et répondre comme on souhaite me voir répondre. Je l'ai prise dans mes bras, en disant félicitations. En disant que c'était merveilleux, que c'était super, que c'était l'extase (je ne l'ai pas dit comme ça, c'était pas hypocrite mais autant social que ça). Elle attendait ça. De ma part. Alors je lui ai donné, et j'étais presque contente pour elle, mais en fait, j'ai eu peur pour moi soudain. J'ai repensé tout de suite à ma fausse-couche de juin, et je lui ai mis le plateau d'amuses-bouches (je disais amuse-gueule avant, une preuve de plus que je suis foutue). Dans la majorité des cas, c'est un merveilleux événement. J'ai repensé à ma fausse-couche. Les yeux d'Anne, le poids qu'elle avait pris, qui lui donnait un visage plus rond, mais pas trop, elle se transformait lentement en mère. Son corps. Elle se transformait lentement en mère et son corps prenait avec elle le même chemin. Le même chemin de transformation. Je le sentais. Et je me sentais mal à l'aise, tout d'un coup, comme souvent lorsque j'entre dans une église, j'ai l'impression d'entrer dans les cabarets du Diable. C'est un sentiment qu'il m'est difficile d'évacuer. Pareil près d'une synagogue, pareil près d'une mosquée, près de la Salle du Royaume aussi. Tout est pareil. Ce sentiment est plus coriace qu'un embryon. A évacuer. J'essayais de comprendre ce que ça lui faisait. Ce que ça lui faisait. D'être enceinte. J'avais envie de lui parler de ma fausse-couche mais j'ai pensé que ce n'était pas du tout approprié. Qu'elle n'était pas venue pour ça : elle était venue pour me parler de ce qui grandissait en elle. Ce soleil. De temps en temps je regardais son ventre. Je me disais : à l'intérieur, ça travaille. Souvent, je me dis ça. A l'aéroport notamment, les ventres des hommes, je me dis souvent : ça travaille. Ils sont remplis, remplis de merde. De merde, d'amour même parfois, de moins en moins de foi. Tant mieux après tout. J'ai envie de dire : tant mieux pour moi. Pour eux. Pour eux bien sûr. Qu'est-ce que je raconte. Heureusement que je ne raconte rien. Il voulait être père, son nouvel ami. Ses cheveux prennent des reflets roux en été. Denis aussi, ses cheveux s'éclaircissent. Moi c'est le contraire, en été, ils deviennent noir comme de l'ébène. Noir comme la mort. En hiver, ça commence à s'éclaircir. Je suis une âme des neiges. Comme l'abominable. Homme. Il faut que je m'y fasse. Mais plus on parlait Anne et moi et plus j'avais le sentiment que je n'étais pas à ma place : je n'avais rien à lui dire sur sa grossesse. Juste que ça lui donnait une pêche incroyable, un teint remarquable. Elle était loin de ce qu'elle avait été : une fille attachée à des types brutaux dans leurs sentiments, pas terminés au niveau du côté droit de la sphère, qui n'atteindraient jamais le côté gauche. Les épousailles, c'était pour quand ? J'ai dit ça moi ? Les épousailles ? Enfin, le mariage je veux dire. Ce n'est pas la même chose ? Excuse-moi, Anne, qu'est-ce que je raconte, je n'en sais rien du tout. Si ça se trouve, je raconte rien du tout. Ensuite, nous sommes allées nous promener ensemble, elle voulait m'inviter à l'extérieur, je lui avais parlé de l'absence de Denis, ce que ça me faisait, ce que ça provoquait, j'avais envie de lui parler de cette récente nuit où je m'étais réveillée dans une position étrange. Tout était posé, mon corps avait été déplacé. Par moi-même sans doute. Ou par... Antonio et sa femme avaient essayé d'avoir des enfants, m'avait dit ma mère. Mais elle aussi, elle avait fait des fausses-couches, quatre au total. La femme d'Antonio. Ils avaient abandonné, apparemment, même la sexualité. Je n'imaginais pas du tout ma tante faire l'amour, même avec Antonio. La dernière fois que j'ai regardé cette femme, ce n'était pas le pardon qu'il y avait dans mon regard. Mais : "tu vois, t'es seule maintenant, tu as vu comme j'ai fait ce que j'avais toujours eu envie de lui faire. Tu as vu ma réponse. Tu as vu ton silence, à quoi il te sert maintenant ? A t'étouffer avec, dedans, tu t'étoufferas dans ton silence avec le sien pour commencer". C'est fou comme la haine sophistiquée peut vous faire penser des choses horribles, bien éloignées de la rive sur laquelle vous aimez habituellement marcher. Je ne sais pas comment faire, Anne, ton enfant... Dans ton ventre. Ce n'est pas comme Alien ? Quand même. Les gens se transforment autour de moi d'une manière spectaculaire, physiquement, socialement. Je ne sais pas comment faire pour gérer ça. Moi j'avais beaucoup d'avance, peut-être que cette avance se perd et que je ralentis. Pour être à niveau. Quel est ton niveau ? Ton niveau ? Donne-moi ton niveau social, ta place. Denis ne s'en vante jamais auprès de moi, il sait que ça ne m'impressionne pas ça. Ni l'érudition de Marc... Pourtant Marc... Pourtant... Marc. Non pas pourtant Marc. Nous sommes allées marcher dans le froid. Devant nous un chemin, de chaque côté bordé d'arbres, qui étaient déshabillés de leurs feuilles pour l'hiver, par l'automne, ma saison préférée. Des enfants chaudement habillés pour l'hiver s'amusaient en courant un peu partout, autour d'un couple. La femme s'accrochait au bras de l'homme, les enfants couraient autour, ça faisait un cercle autour d'eux. C'était étrange. Anne voulait épouser cet homme, qui lui avait fait un enfant, un enfant qui n'avait pas encore forme humaine, mais qui avait tous les ingrédients pour faire un être humain. Quand j'ai perdu le mien, c'était la même chose, un mélange de la chair de Denis et moi, je n'avais pas ressenti ça avant, ça m'avait frappé en marchant sur ce chemin, en compagnie de cette fille, qui venait/tentait de me faire partager son bonheur, son bonheur presque trop parfait pour être clair. Mais je ne voulais pas être grincheuse. Je ne l'étais pas, j'étais bien, heureuse. Un peu gênée par la présence de la chose dans son ventre. Un autre être dans ton ventre et on trouve ça merveilleux pour que tu restes à la maison, pendant l'hiver. Je peux vous dire que rien n'est meilleur que d'écrire pendant que l'hiver sévit. Je peux vous dire que c'est merveilleux d'écrire sous des tempêtes, des ouragans. Moi je trouve que ça rend mon coeur plus rouge-sang, et ça me fait sentir plus... Je ne sais pas... Anne souhaite me présenter son petit-ami. Il a vingt-sept ans. C'est beaucoup trop jeune pour moi, ils ne sont pas... Enfin... Et puis physiquement, sexuellement ça va pas... Ils manquent de... Enfin... Je veux dire... Rien. Non. J'ai fait ma construction oedipienne avec mon oncle, c'était brutal, c'était dur (très dur même parfois), c'était violent, c'était effrayant, exaltant, horrible, épouvantable, incroyable, extraordinaire, pervers, innommable, immonde, merveilleux, fort, dégoûtant, déprimant, inquiétant, lumineux, sale. Mouillé. J'ai dit oui Anne, je suis d'accord. Je suis d'accord, montre-moi ton homme, dans neuf mois tu me montreras la preuve qu'il t'a pénétrée et qu'une fois, la pénétration a donné un fruit. Le fruit de la pénétration. Heureusement que je ne suis jamais tombée enceinte avec mon oncle, quand j'y pense. J'y ai pensé avec Anne, à côté d'elle aujourd'hui. Je me suis dit : ouf. J'ai ressenti un soulagement terrible, je me suis dit : finalement j'ai eu de la chance. De ne pas tomber enceinte de lui. Quel enfant ç'aurait été ? Mon fils et mon cousin. Et, son fils mais aussi son petit-neveu. L'horreur intégrale. Finalement les Dieux ont eu raison d'instaurer certaines règles, elles nous appartiennent, mais c'est leurs règles. Il faudrait les remercier, ouf, quel soulagement. Je vais me mettre à genoux. C'est une chose que j'ai toujours su faire. Jamais pour des Dieux, pas même pour des demi-Dieux. Je me suis toujours mise à genoux pour des cancrelats, des cafards, sauf pour Denis, qui est un homme. Je me suis à genoux pour lui aussi. Et Jérôme. Aussi. Les deux seuls hommes que j'ai jamais aimés. Pour de vrai. Le vrai amour. Et Denis en premier. Je me suis mise à genoux pour eux, ils n'étaient pas des cancrelats. Anne est parti dans le chemin, je me suis assise sur un banc très froid, le soleil était pourtant là parfois. Il commençait à pleuvoir, et le vent soufflait fort. J'avais froid, j'aimais ça. J'aime bien avoir froid dehors, à l'intérieur j'aime avoir chaud. Je regardais le ciel se couvrir rapidement. Je pensais à Denis. Je me demandais s'il regardait le ciel parfois lui aussi, en se demandant ce que j'étais en train de faire, ou à quoi je pensais, en France, quelque part pas loin de Paris. Les tentatives d'approches de cette Capitale m'effraient. Le savoir là où il est, ça me réconforte. Cynthia est lesbienne. Qu'est-ce qu'on peut y faire si j'ai beaucoup de chance ? J'aurais pu mettre au monde l'enfant de mon oncle. Le bébé d'Anne, qui n'a pas encore forme humaine, mais qui a tous les ingrédients pour faire un être humain, m'a fait penser à la chance que j'avais eu, à l'époque, de ne pas tomber enceinte de mon oncle. Pourtant il éjaculait beaucoup, Antonio.

La plupart du temps, quand je regarde le paysage de la campagne française au volant de ma voiture, et que je vois les bottes de foin laissées à l'abandon, là en attendant, je repense à lui, et à la chance que j'ai eu, de pouvoir réfléchir à ce qui s'est passé, car c'est une véritable chance. De pouvoir se pencher sur ses propres souvenirs, forcément tronqués. Même si ma première réaction a été de faire la guerre, je crois peut-être aujourd'hui qu'il y avait une autre issue, une autre voie à emprunter, qui m'aurait évité de passer par des chemins tellement accidentés que même les ânes refusent d'y passer. Pourtant, la plupart choisissent ces chemins, car ils ne connaissent que ceux-là. A l'époque je ne connaissais que celui-là. En fait, je ne voulais voir que celui qui m'arrangeait. Pour être honnête. Ce n'était pas une poutre que j'avais dans l'oeil, c'était le tronc d'un séquoia. Toutes les choses pesantes, comme sa foi, son appétit sexuel, ses éjaculations dans l'anus,  le bébé d'Anne n'a pas encore forme humaine, et fait remonter tout ça à la surface de ce fichu Atlantique. Tout est bon pour faire remonter ce qui doit être enterré une bonne fois pour toutes. Beaucoup de personnes y parviennent. J'y suis, en partie, parvenue. La plupart du temps quand je regarde les bottes de foin, dans la campagne française, au volant de ma voiture, en direction de la maison de mon père, je pense à toi que j'ai laissé là-bas derrière moi, enterré, parce que je n'arrivais pas à enterrer le plus facile, ce que tu m'as fait avec ma complicité, comme cette paille qu'il ne faut pas laisser au soleil car elle s'enflamme trop facilement.

Anne est retournée chez elle. Elle et son ami prévoient de s'installer ensemble dans deux semaines. Il commençait à pleuvoir. Les enfants tournaient autour de leurs parents en riant. Je suis restée encore un moment, assise sur le banc, les bras croisés, la jambe gauche sur la droite. Il pleuvait de plus en plus, le vent soufflait de plus en plus. Et la nuit tombait, et le vent de plus en plus, semblait s'emporter. Moi je le fais tout le temps, mais elle non. Apparemment. Elle ne s'est pas retournée. Pour regarder en arrière.


Heinrich_Himmler

Sans_titre_25

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Commentaires
S
Je découvre ton univers avec grand plaisir et j'y dépose un souffle de poèsie.. bien à toi...
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