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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
16 mars 2006

Les Sons et les parfums tournent dans l'air du soir

john2

Je ne dirais pas que ça ressemble à des gouttes, des gougouttes, dirait quelqu'un que je connais, mais je dirais pas que ça ressemble à des gouttes. C'est différent et pareil, on touche, on goûte. Les gougottes, c'est un peu léger, ou lourd. Naturellement, certaines en ont de très lourds. Pesants à la main je veux dire, la main sentirait le poids dans le creux de sa paume. La question se poserait : sont-ce des faux ? Sont-ce des copies de vrais ? Donc des choses honteuses à proscrire ? Combien ont explosé dans des avions mal pressurisé ? Les hôtesses autour paniquées ? Lui, il s'est écroulé sur moi, en pleurs. Il avait besoin d'un doudou qu'il m'a dit, en pleurs, comme ça boum. Je n'avais pas demandé à ce qu'on m'empêche de respirer. J'ai écouté Rickie Lee Jones, et bien c'est si bien, je connaissais pas. Avec lui. Il avait besoin d'un soutient. Parce qu'il aurait envie de s'écrouler. Il ne doit pas penser à la religion sinon il pleure. De tout son coeur il a mal. C'est comme ça. J'aimerais lui foutre des baffes, de force le mettre sur le net pour chercher un garçon, mais il ne voudrait pas. La plupart des petites annonces c'est : pourquoi pas toi, pourquoi pas moi ? Si toi aussi tu recherches l'amour alors pourquoi pas nous ? Ou alors c'est : c'est ok pour bons plans Q. Voilà. Il ne faut pas parler de la religion devant lui, c'est un crève-coeur pas possible. On dirait des fois, qu'il parle sans sa voix et qu'il dit rien qu'avec son regard : non, je peux pas tenir cette fois. A son âge, il en a marre d'être seul. La vie lui est insupportable ? La plupart des gens sont en vie, oui, mais c'est comme s'ils n'avaient pas le choix, ils veulent mourir et lorsqu'ils se tuent, juste avant de partir ils se disent : merde, j'aimais la vie. Mais : trop tard. Il est de ceux-ci. Certains sont clairs, mais d'autres non. Il n'avait pas de vision romantique de la mort, ni même de la vie d'ailleurs. Sa sensibilité est extraordinaire, il pourrait soulever une montagne. S'il n'était pas si triste, contre moi, je suis petite, plus que lui, ses pleurs étaient lourds aujourd'hui, et de le voir dans cet état, son appartement aussi, ça sentait bizarre, le fauve comme disent certains, comme ce vieux prof de sport que j'avais, un vrai connard (c'est une insulte je n'ai pas le droit, d'autant plus que je vais mettre son vrai nom mais il doit être mort aujourd'hui, avec tout ce qu'il buvait), monsieur Haricot Vert. Géant Vert, je ne sais plus. Bref il sentait le cassoulet, les flageolets. Mais ça ne s'écrivait pas pareil. La religion, il voit une croix, il pense à son amour, mais à celui du Christ non. C'est quand même quelque chose. Et toi, me dit-il, d'un oeil larmoyant. Moi ? Très bien. Tu as l'air calme. Tu n'es plus ni dans le trop ou le pas assez (il a essayé de me dire ça, enfin je crois). Et c'était vrai. Tu es mon amie ? J'ai répondu : bien sûr que je suis ton amie. Pourquoi tu poses la question ? Tu le sais non ? Voilà. Elle voulait peut-être accoucher de moi, elle. Je ne sais pas trop c'est quoi son problème, je sais, c'est d'avoir eu des enfants. Je suppose. Elle-même enfant, elle était tellement...mal. Heureuse, et ce qui va avec. Je ne connais pas vraiment son problème, je pourrais lui en parler, lui dire, bien sûr que j'ai réussi à te situer, mais cela me servirait à rien. J'aurais trop mal aux veines. Il voudrait en finir, dès qu'on lui parle de la religion, il n'a plus le goût à rien, il n'a plus le goût à la vie, il n'a plus le goût à lui-même, lui-même c'est rien il pense, il se déprecie, un peu trop, il se juge trop...A son âge à chaque fois, être seul, être arrivé à son âge et être seul, c'est dur. C'est un coup dur. Même s'il a des amis, il aurait voulu un amoureux, il aurait voulu quelque chose. Cela les met dans des états pas possibles. Dès qu'ils ont plus que leur propre queue pour jouer. Elle n'a pas des gougouttes, c'est pantouflard, mais des seins, ce sont des seins. La mère de Carrie ne lui disait-elle pas : cache-moi ces mamelles ? Et la jeune fille de répondre : des seins maman, ça s'appelle des seins. Je suis faite comme toutes les femmes. Tu as l'air calme, il va bien aller. Elle prend de ses nouvelles aussi. Le pédé l'intéresse. Les lesbiennes des fois sont solidaires des pédés. Ce monde est tellement étrange, je lui disais. J'avais mis ma tête sur ses genoux, on était dans son superbe canapé qui fait un coin, elle a dû payer très cher. Je devrais m'en acheter un, avec le fric de mes baises. Autant qu'il serve à quelque chose, je ne vais pas le donner à une cause pour sauver des gens quelque part sur terre, ils seront morts avant de l'avoir, avec tous les intermédiaires, entre. C'est facile de dire ça mais je le dis. Un de mes clients me l'avait dit : c'est systématique : ils se servent personnellement. Qui ? J'ai demandé. Il m'a dit qu'il ne voulait pas en dire plus parce qu'il ne voulait pas que sa maison brûle un jour avec lui dedans. Des gens dangereux. Les théories du complot. Contre la religion, la religion contre l'amour, ça te semble plausible ? Possible ? Arrête un peu de faire cliquer tes doigts, arrête un peu de pleurer sur moi, vient, ouvre la fenêtre et respire ce bon air pollué, de nous autre, c'est vraiment beau de vivre en France, c'est vraiment bien de vivre sur Terre. Je me sens dans une sorte de supplice indescriptible, mais tout à fait tenable, mais j'ai peur qu'il déborde, on ne sait jamais avec ce genre de supplice, la folie ambiante, des fois, dans les backrooms, ça déborde, et bien là c'est pareil, ça déborde et ça ne sent pas le pur ni de près comme de loin. Donc je ne voudrais pas...Me mentir à moi-même. Il ne faut pas se mentir à soi-même. C'est très mal poli. Après on ment aux autres et les autres après ils vous en veulent (logique puisqu'ils se mentent à eux-mêmes aussi, bien sûr pas tous). Ce qu'il vit, lui, mal, cette séparation d'avec son petit ami, ça entraîne des réactions intérieures sur moi, en moi, silencieuses, pernicieuses. Je ne voudrais pas...Pourtant je suis bien. Je ne sais pas. On se parle déjà avec elle, plus qu'avec les autres, les précédents, les hommes, c'était plutôt la passion des corps qui parlaient, là c'est les deux, mais on a été très sage, elle n'a pas du tout mal pris mon départ alors qu'elle dormait, ce mot glissé sur la taie d'oreiller, le baiser dessus, je me sentais ridicule en le faisant pourtant je sentais qu'il fallait le faire. Je voulais le faire, c'était comme mécanique mais pensé en même temps. Je la regardais dormir. Elle me parle peut-être plus encore lorsqu'elle dort. Mon cerveau va mieux depuis qu'il la connaît mais il chauffe toujours, c'est chaud, on m'a même demandé : vous avez de la fièvre mademoiselle ? Oui peut-être que j'ai répondu. A l'hôpital, je m'occupais de remettre droite une vieille qui penchait à gauche sur sa chaise, et elle a mis sa main sur mon front, comme ça. C'était juste comme ça. Et elle m'a demandée donc là si j'avais de la fièvre. J'ai dit : oui peut-être. L'air était chaud en sortant et puis dans la voiture, un peu plus froid. Dans le noir j'ai toujours un peu peur, pourtant je suis une grande, j'ai souvent l'impression qu'on me suit, je ne sais pas pourquoi, je regarde souvent derrière moi, en plus de ma bombe au poivre, j'ai une sorte de qualité qui me fait agir avec audace et fantaisie en toutes circonstances, même les plus incongrues (sic). Ce n'était pas cette fontaine du Portugal. C'était une fontaine du midi de la France. Celle du Portugal avec Claudia, je veux pas y revenir ce soir, c'est beaucoup trop douloureux, vous devez vous mettre à ma place absolument. L'autre était beaucoup plus grande, et avait une statue. L'homme qui l'avait faite était riche, il avait un look de mafieux, des lunettes noires, un costume blanc. Intégralement. Il me payait bien, deux fois, c'était bien. Il avait deux dobermans. On dit dans la vie, les clichés, mais souvent la réalité dépasse la fiction. Et la nuit il m'avait fait dormir chez lui. Bien sûr. Je ne devrais pas le dire parce qu'on s'en servira contre moi un jour, mais j'étais dans mon lit, à l'époque je pleurais beaucoup la nuit toute seule dans mon lit, je ne priais pas mais je poussais mon esprit à se détacher le plus possible du monde en souhaitant un paradis (mais pas religieux puisque j'avais branlé le Prêtre). En souhaitant que ça s'arrête, ce cinéma de la mort, cette culture de la mort dans la tête. Mais aussi à l'extérieur de la tête et ça, ça dépendait des autres, pas de moi seulement. Ils ne voulaient pas. Que ça s'arrête, cette culture. Je pleurais, il était entré, il m'a demandé pourquoi je pleurais. Il se branlait déjà, très calmement, après c'est devenu vibrant, dans le noir. J'avais le sentiment que ces deux chiens étaient les gardiens des portes de l'enfer. Les portes de l'enfer sont une belle villa blanche, avec une fontaine, une piscine, la fontaine possède une statue d'ange qui pisse, comment on appelle ça ? J'ai oublié, il est tard. Elle m'aime, il faut se contenter du présent.

Je pleurais vraiment, en étant très fatiguée. A l'intérieur, de tout ce cinéma, tandis qu'il me demandait pourquoi je pleurais, je lui expliquais, tant bien que mal donc, en pleurs.

Que c'était de la faute du monde. De tout le monde.

ANGELINE

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Commentaires
S
Je sens, aujourd'hui encore, contre ma joue, l'oreiller de plumes où, interminablement, nous parlions ensemble .
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