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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
8 mars 2005

Sister Janet

Je suis ton fils, maman. C'est pour ça qu'il faut me respecter. On respecte les enfants, on respecte les parents. Tu es venue. L'autre après-midi, la neige fondait, le soleil était frais, dans la casserole du sucre qui fondait en Caramel. Hé, tu sais quoi, deux S.S. se promènent près des fours. Et puis ils remarquent que ça sent le caramel. Le premier dit : "tu ne trouves pas que ça sent le caramel ?" Le second dit : c'est normal, on a fait cramer les diabétiques. C'est drôle hein ? Les gens étaient tous éclatés, moi je souriais mais ce n'était pas de bon coeur, c'était une protection, pour "faire comme eux". Sinon, on aurait encore pensé : elle n'a pas d'humour. Maman, je suis ton fils, ton garçon, ton deuxième, allez. Tu es venue et puis on est tombées dans les bras l'une de l'autre. C'est une douce fin d'hiver, j'ai l'impression que petit à petit en moi tout s'éclaire alors que de plus en plus, j'embrouille mon monde avec mes phrases. Exprès en plus que je fais. Quelle salope. Mais je suis ton fils, tu es venue, et je te remercie de tout mon coeur d'être venue, maman, ça me fait très chaud au coeur. C'est bien d'écrire devant les autres. Et puis c'est une horreur, tu n'imagines pas. Beaucoup préfèrent arrêter. Maman, je suis sorti de ton vice, d'entre tes deux cuisses et j'étais contente que tu pleures un peu dans mes bras, c'était l'une des premières fois, la première fois tu me dis ? Il a fallu attendre mes vingt-cinq ans ? A la fin maman, il y aura un twist ici, comme dans les films de Shyamalan, Sixième sens, Incassable, Le Village, du petit cinéma. Ce n'est pas prévu mais je sens que je suis obligée. Je suis ta fille, maman, tu m'as prise pour ta fille, pour une fois. Et puis tu m'as posée à moi des questions sur mon ancienne vie. "J'étais si secrète". Maman, ce que je faisais de mon vagin ne regardait que moi. Tu peux comprendre. Maman. Ce que tu faisais avec les hommes, autre que papa. Tu les suçais ? Maman ? Tu m'entends ? Le fantasme qu'on demande le plus quand on est client : dis-moi que je suis ton père pendant qu'on baise. Alors maman, tu fais ce qu'ils disent, parce que tu gagnes plus de quoi t'acheter des boîtes au Cora du coin. Maman. Maman tu es venue, le visage marqué, tu as vieillie. Maman, je me suis améliorée, quand je rencontre un garçon, un homme (c'est souvent difficile de faire la différence) et bien je n'ai plus envie de le baiser tout de suite. Maman. Maman j'adore t'appeler maman. Je détestais ça avant. Je suis en train de vivre, j'espère que tu vis au moins autant que moi. Mais ton visage est ridé. Les rides te vont bien. A moi elles m'iront bien. Peut-être même qu'avec de la chance et beaucoup de volonté, elles m'épargneront. Tu es venue, et puis en discutant, tu as pleuré, maman, tu as pleuré. Tu suçais ? Ces hommes, tes amants, dans ta couche; Maman laisse-moi écrire tout ça, ce n'est pas pour me moquer, pour t'accabler, pour faire style littéraire torturé, hélas je le suis, ça ne m'empêche pas d'aller bien, pour ceux qui me trouvent folle. Une folle est un homme homosexuel, ça n'a rien à voir. Ce n'est pas pareil. Tu ouvrais ta vieille bouche à l'époque plus lisse et tu avalais les glands, les couilles, maman, dis-le moi je t'en prie. J'ai imaginé souvent ça dans mon adolescence avec la haine de toi. Je me disais : une pute. Avec le côté péjoratif de la chose. Maman tes cheveux ont blanchi, tes yeux se sont ternis, tes mains sont devenues calleuses, les veines ressortent, maman tu es ma mère, ma maman je suis sortie de ton vice, je suis sortie d'entre tes cuisses, maman ta voix est devenue moche à l'oreille, maman ta gorge toute maigre, maman ton côté hypocrite quand tu parles, que Thomas a aussi d'ailleurs malgré l'amour que je porte à cet homme, mon frère, maman tu as eu un fils, un frère, pour moi, plus grand. Et puis entre nous, il y a eu un Mort des Récits d'Angéline. Il y a eu un Grand Frère Mort. Dans ton ventre c'est ça ? L'histoire change souvent. Maman je suis donc le fils mort décédé, Dieu à la place de ce bébé t'a donné une donzelle magnifique qui faisait bander les hommes les plus riches de Paris. Tu ne le savais pas. Papa qui me laissait faire. Papa. Tu suçais tes amants ? Ils te sodomisaient, leur queue entre tes seins, ils éjaculaient beaucoup ? Certains hommes ont le sperme plus crémeux que d'autres, parfois ça dépend même du jour selon l'homme, et maman, tu prenais ton plaisir ? Au moins ? Dans le mensonge ? Et malgré les lumières la nuit le 14 juillet près des Lettres de Mon Moulin, tu marchais en regardant le feu d'artifices, tu étais le plus beau de tous ces artifices, comme un lit en feu dans ma chambre, dans mon lit, la nuit quand je dors. Car je faisais souvent ce rêve avec mon ex-mari : je voyais une fille prendre feu dans un lit. Elle ne se débatait pas. Cette fille, c'était moi. Et le sexe de ton amant préféré était comme une flèche ou alors carré au bout ? Il transpirait beaucoup ? Il était imberbe ou au contraire fort poilu comme Charles, et comment tu faisais pour te sentir à l'aise avec nous en rentrant. Promis, je ne juge pas, je pose des questions sincères et honnêtes...(honnêtes, vraiment Angéline ?) Est-ce qu'il te bouffait la vulve ? Le mont de Vénus ? Est-ce qu'il te mettait une langue dans l'anus ? Au fond, est-ce qu'il fermait les yeux en faisant cela ? Est-ce que tu passais tes langues sur tes lèvres à ce moment précis ? Est-ce que ça faisait mal d'être avec papa ? Quant ils s'occupaient de nous ? Est-ce que tu prenais une douche après ? Ou avant de toucher papa ? Ou je veux dire, tu m'embrassais sur la joue, souvent, parfois je veux dire, cette bouche touchait des scrotums. D'hommes que tu aimais peut-être mais tu trompais...Enfin bref. Est-ce que tu pensais pouvoir pleurer avec moi chez moi contre moi ton fils, euh ta fille, mon fils ma fille, je suis ton deuxième, ton premier était normal, il a fait des études brillantes, il a épousé une femme en Angleterre, il est parti en mission en Afrique, à Kinshasa aujourd'hui, et moi j'allume les hommes et les femmes juste pour le plaisir de les laisser en feu, je m'en vais ensuite parce que : je suis trop lâche face à l'amour, c'est le refrain classique qu'on ne veut pas entendre et pour cause : c'est pitoyable. Je suis pitoyable quand je veux. Peu d'entre vous osent se le dire ou alors les pervers se plaignent pour mieux qu'on les glorifie dans leur nullité. Comme toi Jean. Maman tu ne devrais pas penser à demain, à pourquoi, ma vie secrète, ma vie cachée, mes conversations avec Thomas, quand j'étais en larmes, dans le grenier, parce qu'il m'avait sauvé de mon suicide raté, et qu'il me prenait dans ses bras, mon frère, l'un des hommes permanents de ma vie, c'est mon frère, mon grand frère, il est déjà marié, dommage sinon je l'aurais pris. L'inceste n'est pas un tabou, vos tabous sentent la poussière, permettez-moi de le dire moi qui suis blanche comme...une oie. Blanche de peau. On va dire. C'est tellement drôle maman que ton deuxième vrai fils soit mort dans ton ventre, il était un garçon, un homme, il avait un destin, ou alors pas du tout, un libre arbitre ou alors pas du tout, comme moi de finir quelque part dans les bras de ton frère, maman, au Portugal, et me réfugier à l'ombre des châtaigniers, de toute façon, quel réconfort peut-on trouver sur cette planète. Sur laquelle pleure Jérémie, je vais vous dire : qu'elle crève, qu'elle étouffe. Non je plaisante, elle ne va pas mourir, je le sais bien. C'est la maison des morts et je sais qu'elle ne va pas mourir, un jour elle appartiendra aux vivants, faut juste qu'ils ressuscitent. C'est drôle maman. Moi et le petit étang, moi et la petite rivière, moi et tes roses dans ton beau jardin de mère. Les mères ont des beaux jardins quant elles veulent bien arrêter d'étouffer leurs fils. Et qu'elles ne ferment pas les yeux lorsque leurs frères abusent de leurs filles. Tu as pleuré dans mes bras et j'ai eu l'impression que c'était toi qui sortait de moi, que tu sortais de mon logement de sang, de glandes, de viscères, et j'ai aimé t'aimer à ce moment-là, j'ai retrouvé ma mère en te mettant au monde, en te disant finalement, que nos corps étaient liés jusqu'à la fin de La Vie, maman, j'ai fait du thé pour toi, au gingembre, vieille folle parce que je sais que tu n'avales que ça, et que tu aimais tellement les livres de Virginia Woolf, je t'ai mis des fleurs sur la table. Et j'ai je t'ai aimée, toi, comme ma mère, perdue et pleurante mon histoire passée avec Paris. Avec les Hommes de la Vallée des Morts. Ils ne sont pas Morts. Spirituellement, ils sont fichus, c'est vrai pour la plupart. Ils usent et abusent. De la facilité. J'ai fait des crêpes maman, avec le thé, parce que tu aimes mes crêpes, j'en fais de toutes sortes, et la confiture sur la table, tu m'as dit en souriant, en essuyant tes débuts de larmes d'angoisse : on dirait un petit déjeuner. Tu te souviens, maman, je détestais manger le matin, papa et toi me disiez : c'est pourtant le repas le plus important de la journée. J'ai fait dormir Jean encore ici mais dans la chambre d'amis. Il a bien essayé, encore, de m'amadouer mais voilà, le coeur n'y est pas, c'est la fin de l'hiver et c'est doux en moi à ce jour, le début de ce printemps. Qui s'annonce merveilleux. J'aimais te dire que Tante Jeanne était vieille lorsqu'elle est morte dans son fauteuil un hiver froid, en regardant la neige tomber, elle ne faisait que ça la pauvre vieille. J'ai eu envie de te dire ça maman, ne décède pas un jour d'hiver, ne termine pas comme elle. On a parlé. De choses et d'autres, et pour la première fois, avouant ton désarroi, ton imperfection, ton désir d'autre chose que papa, tu m'es apparue comme un être humain sensible, capable de distance avec lui-même, donc d'intelligence. Donc tu as fait la partie la plus difficile du chemin, tu ne le sais pas encore. maman, comment je fais pour survivre au sexe de ton frère ? Comment je fais pour survivre à mon passé indigne de ma personne ? A mes choix regrettables ? Je fais des crêpes. Et j'écris. C'est bête mais c'est vrai. Là je déconne pas. J'écris pour tuer non pas le temps mais le passé, ou en tout cas vous prévenir que l'avenir c'est juste demain. Alors. La Maison des Morts était si belle avant Maman dans ton jardin aux roses comme seules les mères savent les faire pousser. Et mon amour pour toi aujourd'hui a éclos, enfin, j'ai failli te dire : je t'aime mais je crois que, comme on dit en anglais : ça aurait too much. Tu baissais leurs pantalons, leurs slips kangourous, tu prenais leurs sexes, et dans ton sexe les leurs, et dans l'anus, non ? Si ? Maman, ma colère est partie, je fais juste exprès. Je fais souvent exprès, pour me défendre. Les autres peuvent bien me juger, ils ont leurs systèmes pas plus glorieux que le mien, pour se défendre. Des attaques visibles et invisibles. C'est difficile. L'amour d'un homme, j'aimerais bien y arriver. Tu sais, ça viendra, je le sens, je le ressens, et puis parfois je n'y pense même pas. On me téléphone pour discuter ; mais les hommes sont tous Morts. Alors les femmes ? Maman Thomas est en Afrique. Maman je suis ton deuxième fils raté, ta fille décédée, déjà, pour de faux, elle. Elle fait exprès. Elle aurait aimé être un garçon, le monde lui aurait été non pas plus facile mais elle serait partie avec moins de handicapes, c'est certain. C'est tellement important de prendre son petit déjeuner le matin.

 (à suivre).

Angéline

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