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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
7 mars 2005

Goodbye Charlie

Salut Charles. Tu t'appelles Charles. Il y avait un homme qui s'appelait Farid et qui buvait beaucoup, sa copine venait de le larguer. Il m'avait demandé : t'es célibataire avec le ton agressif des cités. Sans aucune classe, sans aucune délicatesse. Sans glamour naturel. Charles a été plus intelligent : il vient d'avoir vingt-neuf ans. Je trouve qu'ils sont encore trop frais à cet âge. Je m'ennuie mais pas avec lui. Pour une fois. Je ne sais pas, peut-être que je devais être en manque. De sexe, je veux dire intellectuel. Et il paraît qu'en Russie, elle tuait des hommes à mains nues. Mais bon. Salut Charles. Et tu m'as dit aussi, toi qui lit de temps en temps, comme ça, surtout dans le lit, avant de dormir, comme tu as dit :"pour faire de beaux rêves", des machins comme le Da Vinci Code, que la littérature n'était pas une chose importante pour toi. Je l'ai accepté mais j'ai pensé : dommage. Il n'a pas vu tout ce que j'ai vu. Enfin bref, la question n'était pas là. Il est pas mal pour un homme de son âge. La plupart ont encore ce côté pas fini, pièces détachés, jeune quoi qui me déplaît tant. David au café-philo une fois m'avait dit : attends d'avoir nos âges, tu penseras différemment. Ils aimeraient tous redevenir jeunes, comment faire ? Faire comme les Témoins de Jéhovah ? Y croire seulement ? En attendant que ça arrive ? Je ne sais pas. Je ne suis pas certaine que la chose soit efficace. En attendant. J'étais à l'aise, en moi-même, renfermée, depuis plusieurs semaines d'ailleurs, à revenir sans cesse sur des souvenirs avec tout le monde, et la plupart du temps que les mauvais souvenirs, pas les bons, alors qu'il en existe une certaine quantité. Non négligeable. J'ai dit à ce Charles donc, très distingué, bien cadré au niveau des épaules, une barbe entretenue (j'ai un faible pour les hommes barbus, j'ignore pourquoi car : c'est laid) et un visage harmonieux, charmant, une voix douce, calme posée, il avait les mêmes airs que mon ex-mari, attention ma fille, il te regarde comme ça, il te parle, comme ça, donc méfiance, toujours, extrêmement de méfiance et surtout de retenue. J'arrive ainsi à faire tomber dans le panneau quatre-vingt-dix-neuf pour cent de crétins égarés et le pire, c'est que, désarmés, ils marchent à fond. Vous leur hurlez qu'ils vous jouir : ils y croient. Que vous êtes tristounette : encore pire. Mais je n'ai fait ça qu'avec mes clients (Angéline menteuse). Charles et ses amis, dont Sophie parlaient des pédophiles, sur la table des biscuits salés, des Tucs, de l'alcool. Une pendule sur le mur qui faisait le chant des oiseaux, qui m'inquiétait. Les murs étaient blancs. Charles a les cheveux coupés très courts, plaqués sur son crâne, ça lui va bien. J'ai remarqué une cicatrice sur le dos de la main droite, un grain de beauté dans le cou qui sortait de son pull qui gonflait son buste, qui le rendait viril, qui faisait mouiller mon sexe mental, les femmes ne pensent qu'à ça, l'amour. Et l'odeur dans la cuisine. Farid buvait beaucoup, il était triste : t'es célibataire, tu connais Sophie depuis longtemps, etc etc, et moi je prenais une distance, non pas parce qu'il était arabe (ha), parce qu'il buvait beaucoup. Et puis je n'aimais pas son air des cités, ça devait le rassurer de le prendre, il s'impressionnait tout seul comme ça. Il n'avait plus peur d'ouvrir la bouche, d'être jugé. Pauvre Farid, pour un mec, pas mal, de vingt-quatre ans je veux dire. Mais : trop jeune, encore pire que vingt-neuf. J'ai dit à Charles : en écrivant on rencontre beaucoup de gens intéressants, qui essaient de vous aider parce qu'ils se prennent pour Dieu, des égoïstes et des menteurs pour de vrais complètement terminés ceux-là, on rencontre aussi Franck. On a envie de se lier avec lui, d'amitié, on veut appeler, son numéro, mais on hésite, ne serait-ce que parler à un homme sain, qui me paraît sain. Qui essaie, lui au moins. Qui ne semble pas avoir peur de l'effort que ça représente de me lire. Charles m'a dit : c'est un effort ? Bien sûr, c'est un arrachement, un déchirement, c'est comme...si on m'agressait. C'est con à dire, il a souri, et puis il m'a dit : je ne suis pas sensible à la littérature mais je pense que je comprends. Il m'a ébloui. Je lui ai dit : et puis en plus moi qui suis une femme, c'est le seul moyen que j'ai de pénétrer les esprits des hommes. C'est le moyen de les pénétrer, quasiment physiquement. J'avais fait exprès de dire ça, pour voir s'il prendrait la mouche, avec la langue, ou alors s'il verrait, mon exagération, et il m'a dit : si tu en parles comme ça c'est que ça marche. Bien sûr que ça marche, bien sûr et ça me fait peur, très peur, très peur. On n'est plus chez les autres qui avec leurs poèmes, nous noient de bonheur, de lumières, de leur supposé talent, de pose. Ils posent. Moi j'expose. Votre monde qu'il vous revienne à la gueule. Je n'ai pas dit ça à Charles, ça, je le dis à personne, j'avais eu froid dans la voiture, mes tétons se sont durcis (entracte en hommage ou à la mémoire, c'est selon des pervers). Et dans la voiture, je ne savais pas que j'allais tomber sur : Charles. Charlie, mon pote Charlie m'avait dit Sophie. Et puis elle m'a mise à côté de lui, c'était convenu. Il était au courant, c'était arrangé, on est célibataire, on est seul, on a pas le droit d'être normal seul, on a pas le droit d'être seul, un être humain est fait pour être avec quelqu'un, et bien pas moi. J'ai eu envie de dire. Mais si, même toi Angéline me disait mon inconscient. Qui chez moi me parle tout le temps directement. C'est pour ça que c'est logique mes enchaînements narratifs non-sensique en apparence : ma bouche communique avec ma honte et avec mes poils pubiens. Charles, si tu m'entends. En te voyant, j'ai compris : tu n'es pas mon style, mon style c'est passé un certain âge. Clint Eastwood ? Est trop vieux. Tu m'as invitée à voir son dernier film, tu adores Clint, tu es cinéphile, comme moi, sauf que moi c'est limité. Tu aimes tout. Tu vas voir tout. Tu m'as parlé de Jane Campion, d'Alien Vs Predator, de Jacques Villeret. J'étais supposée être impressionnée. Mais tu me plaisais. J'étais, comment dit-on ça déjà : sur la défensive. Et chez moi c'est que : je suis sous le charme. Quand je mords, quand j'attaque, Ed me disait : des fois, tu peux vraiment être une sale pute. Et il ne savait pas, à l'époque, que j'avais eu avant lui le statut de travailleuse du sexe. Je trouve cette fonction ridicule et celles qui l'emploient sont des nouilles, et bien grosses. Des aveugles j'ai l'impression. Charles, ton pantalon brun, ton pull rouge, ça ne va pas ensemble. Charles, tu es jeune, tu fais plus vieux, et Sophie m'avait prévenue : tu vas voir, il est bâti comme un Seigneur. ça me changerait bien de Jean, ce sale pédé. Non je plaisante. Le soir est tombé. Ils parlaient donc de pédophilie. Le procès. Et j'ai vu que Charles est devenu plus sombre, j'ai senti sa voix intime se renfermer en lui-même, j'ai été troublée. Je me suis dit : peut-être que lui aussi. Ils sont tellement nombreux à s'entretuer et à se faire du mal sur cette planète. Les égoïstes. Que veux-tu faire ? Marcher les yeux bandés comme Oedipe, et enjamber les morts ? Enjamber leurs souvenirs ?

Le soir est venu, ils ont changé de sujet beaucoup de fois, à la fin j'étais fatiguée, je ne comprenais plus rien. Farid allait sur le canapé et pleurait, une fille qui s'appelait Amandine allait le réconforter, elle fumait en me regardant avec insistance, je n'aimais pas. Je lui faisais un sourire hypocrite, exprès, je suis méchante parfois, je le regrette. Car en fait la méchanceté ne fait pas partie de mon vocable. D'habitude. Le pire qu'on peut me faire, ce n'est pas de me frapper, cher Ex-Mari, ni de me violer, cher Oncle (paix à ton âme), mais de me trahir. C'est le pire qu'on puisse me faire. Quand je pense que Jean aimait mes jambes "d'antilope". Gros con. Il fallait les garder. Bref, Farid pleurait, avec son air triste, bien sûr il ne pleurait pas de joie et moi j'étais avec Charles qui était antiséptique car je ne savais pas si je lui plaisais, s'il aimait converser la conversation avec moi, s'il me trouvait charmante, mignonne. Je ne savais pas et ça me plongeait dans une angoisse complètement injustifiée, toutes mes angoisses sont insensées, elles ne sont pas provoquées par des choses angoissantes mais par des choses de l'ordre de la bêtise. C'est la pire chose. Au travail, j'angoisse beaucoup moins. Le travail, Farid disait : putain je vais tout quitter, ma famille, le bled, mon job. Il paraît qu'il avait eu du mal à l'avoir, comme beaucoup d'autres, juste parce que c'était un arabe et qu'un arabe reste un arabe avant d'être une personne, un être humain. Je ne l'aimais pas beaucoup, rien d'intéressant ne se dégageait de lui, il était éteint, son coeur pensait à elle, l'autre invisible à mes yeux comme la lumière de cette écrivaine à la chevelure ridicule, Rheims, et Charles parfois se trahissait dans ses regards en coin. Quant il parlait à quelqu'un d'autre. Sophie a tenu à nous tirer les cartes. Après tout. C'est vrai, c'est grotesque mais parfois, je me fonds complètement dans le mouvement de groupe qu'affectionnent tant les gens, ça leur donne l'impression d'exister au travers d'un groupe, ils oublient qu'exister, c'est déjà être conscient de la voix dans notre tête qui dit des choses. Bref, ce n'est pas la question. Le sujet. Elle avait étalé ses cartes et puis elle regardait pour moi. "Tu vas rencontrer l'homme de ta vie. Tu vas tomber amoureuse. Il n'est pas loin de toi, il est tout prêt". Elle jublie, elle regarde Charles qui rougit. Je n'avais pas compris sur le moment. Ensuite j'ai trouvé ça bête de faire ça, idiot. Sans envergure. Mais est-ce que j'ai le droit de la ramener ? C'est de ma faute, c'est moi qui vais avec des gens pauvres. Alors. Farid est allé vomir dans les toilettes, il a dit en revenant : j'ai failli en mettre partout. J'ai pris ma petite cuillère et j'ai tourné dans mon café, bizarre, je le bois sans sucre, comme certains hommes. Russell c'était deux sucres sinon impossible. Une fois il en a versé, du froid, sur mes seins. Dans la baignoire. Les robinets en or. Il m'a plaquée contre le carrelage froid. Charles m'avait fait la bise et sa barbe, je l'avais trouvée douce. Très douce. Il m'a dit : je lisais avant, au collège, dans les bibliothèques et moi j'ai pensé : bien sûr vous lisez à la recherche de votre virilité perdue, vous lisez pour trouver ce que vous ne chercher même pas, vous lisez comme les femmes d'ailleurs, les femmes sont des hommes aussi, pour vous donner bonne conscience, mais pourquoi écrivez-vous ? Ecrire c'est plus honnête que lire. Le café dégoulinait sur mes seins, le café froid, il a têté longtemps, j'avais l'impression d'un aspirateur, les yeux fermés, je le regardais et je faisais semblant à moitié et puis l'autre moitié non, tu sais Jean que le plus sensible chez moi, ce sont les mamelons. Qu'il suffit de les effleurer pour m'électriser le corps au point de ne plus avoir besoin, ensuite, de rapport sexuel vaginale ni clitoridien. Tu imagines ? L'événement. Farid ensuite expose son problème à l'assemblée. Sophie nous servait des gâteaux en forme de coeur : sacrée Sophie, toujours le geste rigolo. Je n'aime pas beaucoup rigoler, ça tombe mal. Je suis mauvaise je crois comme personne. Je suis méchante. Je ne sais pas. Non. Je ne pense pas. Je suis forte. Je suis Elle. Je suis Celle. Et Charles, ne s'appelle bien évidemment pas Charles. J'ai pris ce prénom pour le coller sur celui de l'autre, parce que je ne sais pas s'il mérite que je mette son vrai prénom. Jean, tu le méritais. J'étais crevée. D'entendre Farid pleurer. Je me suis demandée si j'avais été aussi lénifiante que lui dans ma détresse lorsque je venais d'apprendre que Jean me trompait. J'ai eu honte de moi en même temps je me suis dit : c'est le jeu de l'amour. Quelqu'un m'a dit : ça fait revenir les pieds sur terre l'estime d'un homme, cependant c'est le problème inverse : j'ai envie de quelqu'un qui me fasse décoller, car contrairement aux apparences, les gens qui sont dans la lune, sur Jupiter ou même plus loin comme moi souffrent horriblement de ne pas y être pour de vrai. Ceux qui aiment ne devraient jamais perdre leur amour. Charles m'a donné son numéro de téléphone et même son adresse. Et donc je lui ai fait la bise pour lui dire au revoir. Au revoir Charlie. A la prochaine.

Angéline.

 

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