Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
24 octobre 2007

Les Mauvais mots

untitled25

Un message de Francis.

Bonjour,

Vous qui jouez surtout à avoir le dernier mot,sachez que l 'important ce n 'est pas d'avoir les derniers mots mais les bons mots.
Je trouve que vous vous enfermez dans un personnage trop étriqué pour vous,la nature humaine d'avantage que d'autres choses sur terre est en perpétuelle mouvement et les êtres ne sont jamais figés une fois pour toute.  Votre allusion répétée à ma mère ne m 'affecte guère,j 'avais 12 ans et d'un mal,d'une faille j 'en ai fait une force,puisque tout le monde le sais,la mère qui donne la vie est aussi la meurtrière de sa progéniture tant elle pense avoir le droit de mort puisqu'elle a donné la vie...A 12 ans on fait sa vie malgré l 'absence d'une mère,les jeunes filles étant un ' palliatif ' très agréable...Ce n 'est que bien plus tard que les manques vous reviennent comme un boumerang,là encore les femmes intelligentes et belles arrivent à faire divergence... quand aux autres ( femmes ) basta !

Moi :

Bonjour,

Moi, j'avais 25 ans. Mieux vaut l'écrire comme ça. Même si ça ne fait pas trop sérieux, comme une rue. Le numéro d'une rue, où tu vivrais. Elle avait un jardin, pesant, que j'ai raconté ici, de manière pesante, car je ne sais pas écrire léger. Je mets beaucoup de gras, peut-être pour noyer le poisson, peut-être parce que c'est nécessaire. Beaucoup de gras pour noyer le poisson dans l'assiette. Toujours est-il qu'elle aimait son jardin. Elle y plantait des roses. Elle aimait ses roses. Elle m'en parlait lorsque je venais. Mon père l'aimait. Même si elle l'avait trompé dans mon enfance. Je lui ai pardonnée trop tard. J'ai fait comme elle je crois. Son frère était mon agresseur. C'était un homme fort. Costaud, mais pas le muscle travaillé esthétique, le muscle du travail difficile, le muscle de la besogne. Pas le muscle de l'amour. Pas le muscle là non. Pas le muscle rond. Le muscle carré. Dans son genre c'était plutôt un bel homme. Un homme dont le métier est d'écouter, qui est beau aussi dans son style (mais tous les hommes sont beaux pour moi, dans le sens désirables, ce qui ne va pas tarder à mourir est désirable forcément, cette innocence mêlée de pauvreté et de vice, de vide et d'intelligence, il n'y a que sur terre qu'on peut trouver ça) m'a dit que cet homme, qui était le frère de ma mère, avait joué dans ma vision d'elle et dans ma colère retournée contre elle. Pas besoin d'être Sigmund Freud pour comprendre ça. Elle m'en parlait souvent de ses roses au téléphone, comme de personnes, d'amies, qu'elle connaissait de manière intime. Les amis c'est toujours intime, je n'avais pas d'amis en bas, j'avais des parasites humains autour de moi, j'avais ses roses au téléphone. Ce n'est pas charmant ce que je dis, mais c'est vrai. Elle avait des roses et des tomates dans son jardin et c'était important pour elle, moi aussi j'étais importante pour elle. Mon frère aussi, normal, c'était son fils, et le premier, c'était son premier enfant, et c'était un garçon. Un garçon fort, mon frère est fort, mais plus parce qu'il est viril. C'est la flamme éternelle lorsque je vois des roses ici et là, qui ont le bonheur d'être plus entretenues que d'autres. Certaines sont laissées à l'abandon, où poussent n'importe comment. Et ces boutures qui ne prennent pas... Comment s'en sortir ? Son cancer était fulgurant ont dit les médecins et j'ai pleuré une fois à l'annonce, et après j'ai eu du mal, j'étais éteinte. Je ne pleurais plus du tout, pleurer c'est pour les faibles, et on les nique, les faibles. Ce n'est pas très glorieux. J'aurais préféré la perdre enfant, enfant, les boutures tiennent mieux, elles ont plus de chance de prendre quand même. Tu as eu de la chance de la perdre à 12 ans. Quelle chance de perdre sa maman à la naissance. Perdre ses parents jeune adulte, c'est l'enfer, l'enfer sur terre, et en plus on fait des signes pour les sourds et les malentendants, et on comprend qu'ils s'en plaignent, ils ne comprennent pas. Elle me montrait, le bras tendu, le doigt aussi, regarde le bout de mon doigt, je te montre les roses, elle me disait : j'ai fait ci, j'ai fait ça. Elle m'aimait mais ne savait pas trop comment me le montrer. Mon père savait. En fait, ma mère fonctionnait comme une sorte de garçon manqué. Même enfant, elle se battait avec des plus grands qu'elle, elle n'avait pas peur. Mon père m 'a dit que je tenais ça d'elle. Que je l'avais dans le sang. La faute, l'erreur, dans le sang. Sans avoir le sida, sans avoir le cancer du sang, les globules blancs. Qui tombent dans une entreprise de faillite. Totale. Le corps se vide de la vie qui lui donnait sa lumière. Celle du soleil est bien peu de chose en comparaison avec celle d'une personne aimée. Ce n'est pas une jolie phrase posée là pour vous contenter. Ne me prenez pas pour quelqu'un qui est tombé à genoux devant les mots. Devant la matrice. Je tombe amoureuse de la roche peut-être, parce qu'elle est seule, de l'eau parce qu'elle sèche, et du ciel parce qu'il est bancal. Mais pas... C'est ce que je ressens dans l'échine. Mon échine du Diable. Ne sous-estime pas ma peur de mourir d'amour. Enlève l'épine de la chair du pied, je suis la pire des mécréants, la pire. A côté de ma religion intime, l'Islam semble intelligente et le Christianisme semble vivant. Ma mère le savait bien avant moi. Parfois je suis heureuse qu'elle ne soit plus là. Pas par vice. Par soulagement. Soulagement, la vie serait différente, ce serait un poids de plus, et pas seulement un bonheur de plus, la lumière du soleil était là pour ses roses, ses tomates. Ses légumes. Sa force, son caractère. Pas pour moi, j'avais la lumière de la lune, mais la lune est maline, elle se nourrit à la source de notre système solaire, qui n'est pas le seul dans l'univers. Certains hommes se croient seuls dans le monde, et certains terriens se croient seuls dans l'univers. Certains photographes se croient seuls dans leurs photos. Elle me montrait son jardin, comment elle l'avait fait. Faire son jardin était important pour elle. Mon père savait aussi pourquoi. Elle faisait son jardin comme une femme fait l'amour à son homme. Les hommes sont absents actuellement, ils sont comme partis à la guerre on dirait. On dirait. Et pendant ce temps-là, les femmes semblent attendre leurs marins au port. Heureuses et tristes à la fois. Comme Jeanne d'Arc autrefois, mais je préfère Emma Kunz, à chacun ses folles préférées. La première étant à Jean-Marie Le Pen, je ne peux pas m'y associer. Je ne pourrai jamais, je n'ai pas le coeur en terre, tu vois, ni le coeur en haine, en grippe, j'ai le coeur en peine peut-être, mais j'ai bon espoir que ça change. Avec le temps, va, tout  s'en va, et tout revient, toujours. C'est l'histoire universelle des mères, qui sont un point d'ancrage, un poids de plus sur les épaules, et un pouvoir en même temps, je ne t'apprends rien, dans certains coins de l'univers, on éventrait les femmes enceintes pour voir comment c'était dedans. Par ignorance et curiosité malsaine. Il va partir, il pleure comme un gosse. J'explique ça plus, mieux, plus mieux comme je disais petite fille à ma mère lorsqu'on faisait des tartes, dans le texte prochain. J'ai besoin de parler, j'avais dit au barbu, ma mère est morte. C'est vrai, comme la tienne. C'est bien pour ça que je peux le dire, que c'est un soulagement, la mort de la mère. Moi je peux bien le dire, j'ai le droit, j'ai le droit de tout dire, et surtout toutes les choses que je ne dis encore pas. Il y a des gens qui croient que le soleil brille plus que les êtres autour d'eux, j'ai envie de leur dire : changer votre entourage. Sinon quoi d'autre ? Mon père continue le jardin de ma mère. Alors bien sûr, l'ensemble a une autre gueule. Bien sûr on ne va pas se mettre à faire de l'écriture automatique pour savoir ce que la morte en pense. On sait ce qu'elle en pense. Son corps n'est plus qu'un squelette. Il y a trop de squelettes sur terre et pas assez de lettres d'amour, qu'on ne sait pas écrire, je ne sais pas écrire de lettres, de réponses, ou alors agressives, ça je sais le faire, mais ce n'est pas l'enjeu, ça n'a jamais été mon petit jeu. Mon petit jeu coquin. Elle aimait les roses. Rien n'arrive par hasard me disait le bouddhiste, sage, mais j'avais quand même mal au coeur, mal aux mains. Tu comprends. En fait, je voulais te dire surtout ça. Qu'elle faisait son jardin comme on couche avec son homme, et que pour me parler d'amour dans l'univers vide et froid, comme peut le faire parfois une mère face à sa seule fille, elle utilisait toujours les mauvais mots.

Comme des millions d'autres de nos mères nous sommes orphelins. Mais nous le sommes bien plus en pensant aux squelettes de ces dernières, qui, de leurs fosses pleines, chaleureuses et glacées à la fois, n'aiment plus autant que ça les roses et les tomates.

jpw
Sans_titre_25

Publicité
Commentaires
Publicité