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Les Récits de la Maison des Morts
Les Récits de la Maison des Morts
11 mars 2005

Rita Courtesy by New York

Son père était un alcoolique. Mon père était un homme bien. Son père a été con jusqu'à la fin. Mon père est encore très intelligent avec moi. Ma mère sait ce que j'ai fait de mon corps. Elle mangeait devant moi et j'avais parfois la honte, la honte qu'ont les gens lorsqu'il s'agit de leurs petits secrets intimes. Vous savez. Ce barratin. Et Franck a fait une chose rare que j'apprécie dernièrement. J'aime les choses rares, sinon ce n'est pas la peine de venir si vous n'avez rien d'extraordinaire à me proposer. De la taille d'un univers, au moins, comme je le dis si bien. Mon père mangeait, il met toujours du fromage rapé dans sa soupe à la tomate, il en met une tonne, de sorte que ça devient du fromage accompagné de soupe. Et son père était alcoolique. A Franck. Je le dis comme ça, parce que je ne peux pas m'empêcher de le prendre dans ma littérature. C'est obligé quand je connais quelqu'un. J'ai envie qu'il fasse partie de ce que j'écris à l'acide acidulé. Mon père mange ça avec délice, je ne sais pas comment il fait. Ma mère savait en me regardant. Quelque chose s'est décomplexée en elle, vis-à-vis de moi, finalement j'aurais dû lui dire plus tôt même si j'avais envie de pleurer devant elle, de piquer une crise de larmes incontrôlable, mais j'ai réussi à me contrôler. Je regardais l'horloge faire tic tac, de gauche à droite, de droite à gauche, dedans mon reflet. Le verre de Whisky. Ensuite seulement maman nous a dit : à table. Ils tiennent à manger dans la salle quand je viens, ce que je trouve ridicule, on pourrait être tout aussi bien dans la cuisine. Franchement. J'ai eu de la chance de quitter mon ex-mari : je me rapprochais d'eux. Je me rapproche souvent des gens comme Franck, qui ne se cachent pas. Je l'aime cet homme. Pas d'amour amoureux. Je ne le connais pas. Quoique j'ai vu sa photo et bien tenez, j'adore les gueules. J'adore et puis quelle classe. Franchement. Mon ex-mari avait cinquante ans et des brouettes en juin dernier quand je l'ai quitté, mais il n'avait pas la classe qu'il prétendait avoir et que certains aveugles lui trouvaient. Franck, la classe. J'aime son corps sur les photos. Je dois bien le dire. Le verre de Whisky de mon père m'a fait penser à ceux, innombrables de mon mari. Sans douleur, sans ressentir rien, même pas de dégoût, même pas de mélancolie, tout ce temps perdu. Mon Dieu. Enfin bref. Je suis sortie. Dans le noir. Ma mère m'a fait un sourire agréable, comme rarement j'avais vu ça, et puis même mon père lui a dit. "Tiens, tu es étrange". Et c'est étrange. Comme tu es étrange maman. Tu as tourné ta cuillère en bois dans ta soupe à la tomate, tu as touillé, tu as mis du sel, tu l'as faite toi-même, dans ton jardin, tu l'as repris bien sûr, il fût une époque où il était en friche, ou comment dit-on ça, laissez à l'abandon, mais dans ton cas non pas pour lui faire retrouver une fertilité toute neuve. Tu n'étais pas fertile. Je veux dire : maman, je suis surprise de te voir comme ça avec moi. A croire que ça t'excite que ta fille unique soit devenue une pute. Bon. Je ne vais pas jouer la paranoia, hein, ce n'est pas grave tout ça. Finalement. J'ai souffert ni plus ni moins que les autres, même si j'ai vu des choses étranges pour un être humain, je suis sortie de ton ventre pour autre chose quand même. Mais quoi ? Mon père m'a montré sur ordinateur sa poésie, son nouveau recueil, chaque année il en fait un, mon père est un poète. Comme moi. Je pourrais dire l'inverse. Ou le tourner dans un autre sens. Mon père écrit mieux que moi : c'est clair, c'est structuré, c'est optimal, c'est lisible, il n'y a pas de fautes de frappe, d'orthographe débile, il n'y a pas de transe qui pousse à des grands moments de solitude pour le lecteur. Le violon est là, papa, sert toi-en. Rita Hayworth il paraît qu'elle a connu l'inceste. Elle. Le violon n'est pas loin. Et moi je suis partie dans mon C3 rouge, de la merde mais ça me suffit (mes moyens aussi me suffisent à ce genre de voiture), dans la nuit, j'avais des bornes et des bornes à faire. J'adore rouler la nuit et mettre un disque de musique planante. C'est meilleur que de baiser avec n'importe quel homme. C'est meilleur que de manger des fraises avec de la crème chantilly, que des beignets avec de la crème patissière, je peux manger autant que je veux je ne grossis pas. Je fonctionne comme un homme à ce niveau-là, heureusement. Et donc, sur la nuit, j'empreinte la voie express, le ciel était noir mais on distinguait des nuages violets. J'adorais l'ambiance, seule, dans mon côté solitaire, que j'adorais, que j'adore, c'est une adoration pour moi le ciel la nuit, sur la route. J'étais presque seule sur la route. Une grosse BMW noire m'a doublée, je n'ai pas fait attention. J'ai fait craquer mes doigts, j'adore laisser le volant, ne pas le tenir. Et parfois je m'imagine foncer contre un arbre, un poteau, et mourir comme ça. Mais je reprends toujours le volant. C'est vital. Et je suis forte à mon volant, je me souviens d'un homme qui m'avait demandée : tu jouis au volant ? C'était un adorateur de la voiture et de la conduite, il fonçait à vive allure la nuit, il adorait la nuit pour conduire vite. Ils aiment la vitesse qui leur manque dans leur vie de tous les jours, internet va de plus en plus vite, ça ne sera jamais assez vite, il faut encore plus vite, déshabille-toi, maman, tu le faisais, ensuite il te mettait un os dans la bouche, tu le serrais et tes amants ensuite il te prenait derrière comme des chiens, ils aboyaient, ils aimaient ça. Maman. J'imagine ce que tu faisais en tant que putain, car tu as été une sale pute bien avant moi. Je décolle. J'ai rêvé que je te coupais la tête. J'ai peur de supporter ta mort, je ne veux pas que tu meurs un jour, comment je vais faire pour t'accuser quand tu ne seras plus là, avec ton corps chaud et ton odeur si particulière, de maman, à moi ? Mes seins ont besoin des tiens. Maman. Et non, je lui ai répondu, je ne jouis jamais au volant. Jamais. Je regarde droit devant moi. Toujours regarder droit devant soi, toujours le plus loin possible. Et le violon est posé pas loin près de l'horloge papa. Tu sais, papa, j'ai besoin de parler avec des images d'événements étranges. Par exemple, un truc concret, tel quel : j'empreinte ensuite une route de campagne. Je conduis vite. Je suis fatiguée, j'ai mal partout, la soupe me pèse, finalement maman c'est trop tard il fait trop nuit, et puis je pleure. Parce que j'ai mal d'aimer quelqu'un qui est loin, loin loin loin de penser que je pense à lui. Et j'entends ma respiration comme fatiguée d'elle-même. L'eau sur mon pare-brise. Des murmures partout dans ma nuque. Et je croise sur le bas-côté une voiture, une Citroen BX avec ses feux de détresse. Là, sans réfléchir, sous la pluie averse, je freine. La voiture glisse, je le sens. Je regarde dans le rétroviseur. J'ai peur parce que je vois pas bien, à cause de mes larmes et de la pluie. Fais chier toute cette pluie. J'adore la pluie en temps normal. Je n'avais vu personne dans la voiture. J'ai pensé faire marche arrière. Mais je suis restée prostrée. Parce que je me sentais mal. Bon ce n'est pas ça la question, la question c'était : que j'étais arrêtée, et que je ne savais pas pourquoi. Je me suis retournée, pour voir. Là, j'ai vu deux silhouettes noires sortir de nulle part qui couraient vers ma voiture. Moi. Vers moi. J'ai redemarré en trombes, quand j'ai vu que l'une des personnes portait un manteau rouge. Mais, à cinq mètres, bêtement, j'ai callé. Là, mon coeur est sorti de sa poitrine, j'ai verrouillé les portes de l'intérieur, car là j'avais oublié de le faire et j'ai revu les ombres revenir en courant. J'ai redemarré et j'ai foncé. Un coup avait été porté à ma voiture. J'ai foncé. Un peu trop. Au virage j'ai failli finir dans le décor. Arrivée, je suis restée dans ma voiture. Dans ma voiture rouge. Il pleuvait. Je suis sortie. Il faisait froid, froid. J'ai regardé à l'arrière, elle n'avait rien. Je suis rentrée. Et j'ai vu que j'avais des messages. Jean. Qui disait, ivre : je ne sais pas comment tu fais pour écrire toutes ces choses sur quand t'étais une putain. Bip bip bip. Je voudrais dire que ça fait toujours plaisir. Toujours. Jean tu ressembles de plus en plus à mon ex-mari, tu devrais faire attention. Attention à ne pas tomber dans la facilité. Tu sais, il existe d'autres moyens pour me toucher que de me faire du mal. Tu sais ? Je ne déclare pas la guerre dans ce que je dis. On dirait que je suis une terroriste. C'est bizarre. C'est juste des mots, certes acides et acidulés, et parfois qui frappent au coeur même de ce que je suis. J'ai de moins en moins mal dans ma vie tu sais, depuis que je ne te vois plus, c'est souvent léger comme de l'air. Ma vie. Dans ma vie, dans mon esprit. Même si maman suçais jusqu'à ce que son amant éjacule dans sa bouche, parce que maman tu faisais la putain bien avant moi. Je t'imaginais à table. Pendant ta soupe. C'est bizarre quand même. Maman, tu penses vraiment qu'on va y arriver ? Si tu perds encore du lait de tes affreuses mamelles pendantes ce n'est pas de ma faute, je ne vais pas les lécher la nuit quand tu dors. Comme une voleuse je ne m'introduis pas. Ton amie Armandine est partie avec son homme, comme elle dit, à New-York, faire Shopping, elle ne dit pas du Shopping mais Shopping. Elle est comme la maison des morts, elle est vraiment sans noblesse cette amour.

Mention chef-d'oeuvre à Franck, Mention bravo à Jean, Mention étrange pour toi ma mère, Mention très bien à Robert, Mention peu mieux faire (en bonne voie) pour Sacha, Mention Spéciale à Cassius, Mention passable pour mon C3.

Angéline.

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